Une étude publiée le 22 juillet dans la revue scientifique Environmental Science & Technology Letters met en lumière la présence de polluants éternels dans certaines protections périodiques réutilisables.
Tout commence en 2019 lorsqu’une journaliste du magazine du Sierra Club (une association écologiste américaine fondée en 1892) demande à Graham Peaslee, physicien à l’Université de Notre Dame aux Etats-Unis de tester plusieurs échantillons issus de différents sous-vêtements menstruels. Graham Peaslee y trouve alors la présence de per et polyfluoroalkylées des polluants éternels (PFAS). Cette étude a abouti à un procès contre la marque de sous-vêtements menstruels Thinx en 2023. La marque également vendue en France s’est vue contrainte d’indemniser à hauteur de 5 millions de dollars ses clientes et clients qui en ont fait la demande.
« L’une de mes étudiantes diplômées de l’époque, Alyssa Wicks, a voulu poursuivre l’étude, je l’ai aidée à la concevoir et elle a passé environ 18 mois à collecter des échantillons et à les analyser pendant son temps libre. », raconte Graham Peaslee dans un échange par mails. Les travaux conduits par Alyssa Wicks sous la direction de Graham Pealsee ont ainsi été publiés le 22 juillet dans la revue scientifique Environmental Science & Technology Letters. Ils montrent la présence de PFAS dans les protections hygiéniques réutilisables sur plusieurs niveaux.
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La présence des PFAS dans les protections périodiques peut s’expliquer par leur « propriété hydrophobe, comme c’est le cas sur les vêtements de manière générales » selon André Cicolella, chimiste et président de l’association Réseau environnement santé. Ce scientifique français n’a pas pris part à l’étude.
2 millions de culottes menstruelles vendues chaque année en France
Si plusieurs études ont déjà démontré la présence de substances chimiques dont des PFAS et autres perturbateurs endocriniens dans les serviettes menstruelles et tampons jetables, les recherches de l’équipe de chercheuses et chercheurs de l’Université de Notre Dame lèvent le voile sur les composantes des protections hygiéniques réutilisables. Ces produits connaissent un grand succès depuis quelques années, l’utilisation des culottes menstruelles est en hausse. En France, il s’en vend 2 millions par an. En 2025, 53 % des personnes menstruées en France optent pour des culottes menstruelles selon l’IFOP. Leur essor s’explique par « l’idée que ces produits sont respectueux de l’environnement grâce à la réduction significative de l’utilisation de papier et de plastique », déclare Graham Peaslee, dans un article pour son Université avant d’ajouter que « ces produits s’adressent également à des personnes généralement soucieuses de leur santé ».
« Cela démontre que les PFAS ne sont pas nécessaires à la fabrication de ces produits respectueux de l’environnement. »
Si l’étude révèle la présence de PFAS dans près d’un tiers des protections hygiéniques réutilisables analysées, Graham Peaslee et Alyssa Wicks observent cependant que seul un sous-ensemble de produits présente des niveaux élevés de PFAS pouvant être jugés comme intentionnels (33 % pour les culottes menstruelles et 25 % pour les serviettes hygiéniques réutilisables). « C’est une bonne nouvelle, car cela démontre que les PFAS ne sont pas nécessaires à la fabrication de ces produits respectueux de l’environnement, et que les producteurs devraient pouvoir fabriquer ces textiles sans produits chimiques préoccupants. », souligne Alyssa Wicks dans la revue scientifique Environmental Science & Technology Letters.
Créer des protections périodiques dépourvues de PFAS s’avère en effet possible. Ceux-ci ne sont pas essentiels à la fabrication des cups, des culottes menstruelles et des serviettes lavables. Selon André Cicolella, « l’utilisation n’est pas majeure non plus. C’est comme pour les vêtements. On peut avoir des vêtements qui ne contiennent pas de PFAS. »
Tous responsable face aux PFAS
C’est pourquoi Graham Peaslee met en exergue la responsabilité des entreprises de s’informer sur les molécules qui entrent dans la composition des produits qu’elles commercialisent. « Les entreprises ignorent, pour la plupart, ce que sont les PFAS. », déplore-t-il. Il se souvient d’un appel de la première entreprise étudiée au lendemain de la publication de l’article sur le blog du Sierra Club en 2019 : « cette entreprise a insisté sur le fait qu’elle n’utilisait pas de PFAS, mais j’ai souligné la présence de PFAS dans une liste de produits chimiques détaillés sur leur site web provenant de leur fournisseur au Sri Lanka. Il est alors devenu évident qu’ils n’avaient aucune idée de ce qu’étaient les PFAS et pourquoi ils étaient préoccupants ».
« Le nombre d’institutions capables de mesurer les PFAS dans les produits de consommation est limité à quelques dizaines dans le monde. »
De plus, Graham Peaslee estime que « le nombre d’institutions capables de mesurer les PFAS dans les produits de consommation est limité à quelques dizaines dans le monde ». Le coût élevé d’une telle étude est une des raisons avancées par le chercheur pour expliquer la difficulté de conduire de telles recherches. « Nous n’avons reçu aucun financement et il s’agit généralement d’un test coûteux à réaliser… 100 dollars pour analyser chacun des 400 échantillons et 300 dollars pour analyser des échantillons spécifiques parmi un sous-ensemble d’environ 100 échantillons si nous devions le faire à des fins commerciales. C’est la principale raison pour laquelle personne ne s’intéresse vraiment à la question », dit-il.
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Le chercheur a toutefois bon espoir : « après la publication de ces articles et leur diffusion dans la presse, chaque secteur prend rapidement conscience du problème et, jusqu’à présent, tous ont abandonné (à l’échelle sectorielle) l’utilisation des PFAS au profit de solutions alternatives plus efficaces (et plus écologiques). »
« Un effet cocktail qu’on ne maitrise pas. »
André Cicolella souligne que « de toute façon, l’exposition aux PFAS se fait en même temps que l’exposition à d’autres perturbateurs endocriniens. Il y a une sorte d’effet cocktail qu’on ne maîtrise pas. »
Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques, au même titre que les PFAS, qui entraînent des effets délétères sur le système hormonal. Selon l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), leurs effets peuvent s’additionner, se renforcer ou encore s’inhiber, d’où l’expression « effet cocktail ».
« Ces produits présentent un risque pour la personne qui les porte, mais aussi pour nous tous lorsqu’ils sont jetés. »
André Cicolella signale justement que « c’est bien d’être sensible à la question des PFAS mais il faut comprendre qu’on peut contrecarrer l’effet cocktail en agissant sur les autres perturbateurs endocriniens. Et les autres c’est ceux qu’on élimine facilement. »
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« Ces produits présentent un risque pour la personne qui les porte, mais aussi pour nous tous lorsqu’ils sont jetés, car nous savons que ces produits chimiques persistants persistent dans les décharges, contaminant les systèmes d’irrigation et d’eau potable. », rappelle Graham Peaslee. Pourtant, dans une étude, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) estime que les risques de développer un syndrome de choc toxique menstruel est lié aux conditions d’utilisation des protections hygiéniques. Le risque de développer la maladie se corrèle davantage à une trop longue utilisation du produit qu’à la présence de PFAS dans ce dernier.
L’importance de s’informer
Graham Peaslee se veut rassurant sur les protections périodiques réutilisables : « étant donné que seule une fraction d’entre elles contient des PFAS (environ un tiers) d’après nos recherches, nous encourageons les personnes les utilisant à ne pas trop s’inquiéter de ce qu’elles possèdent actuellement ou ont utilisé dans le passé mais à poser des questions, à lire les étiquettes et à acheter des produits sans PFAS à l’avenir. » Le chercheur s’attend « à ce que certaines entreprises effectuent leurs propres tests pour confirmer l’absence de PFAS dans leurs produits » et l’émergence d’une étiquette « sans PFAS ».
En France, depuis le 1er avril 2024, les fabricants doivent mentionner la liste des composants, les modalités et précautions d’utilisation et les possibles effets indésirables des protections hygiéniques. La loi de février 2025 relative à l’interdiction progressive à compter du 1er janvier 2026 de certains produits contenant des PFAS ne concerne pourtant pas les protections hygiéniques. Pour ce qui est des culottes menstruelles, les listes des composants doivent répondre à la législation européenne. Celle-ci fixe les restrictions des substances extrêmement préoccupantes classées comme étant cancérogènes, mutagènes ou encore toxiques pour la reproduction.
Madeleine Montoriol & Tania Mebarki
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Pour aller plus loin :
L’étude Substances per- et polyfluoroalkylées dans les produits d’hygiène féminine réutilisables est publiée sur le site du magazine Environmental Science & Technology Letters.

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