La « raspoutitsa » due au dégel, risque d’enlisement pour l’armée russe en Ukraine

Rostov Russie degel neige hiver Ukraine

Un véhicule blindé russe dans la région de Rostov, proche de l'Ukraine, le 25 février 2022 © AFP STRINGER

Paris (AFP) – Le facteur climatique pourrait jouer un rôle décisif dans l’invasion russe de l’Ukraine, avec l’arrivée attendue de la « raspoutitsa », phénomène saisonnier qui voit la terre ferme se muer en boue collante redoutable pour les véhicules militaires, selon des spécialistes.

Ce terme russe qui signifie « le temps des mauvaises routes », est une réalité bien connue en Ukraine, en Russie et au Bélarus où le radoucissement des températures et la fonte des neiges au printemps, tout comme les fortes pluies de l’automne, se traduisent par plusieurs semaines de gadoue, deux fois par an.

Avant même que la raspoutitsa n’ait commencé, les images de chars et de véhicules militaires russes embourbés en Ukraine pullulent sur les réseaux sociaux.

« Il y a déjà eu beaucoup de situations dans lesquelles des chars russes et d’autres véhicules sont passés par les champs et ont été bloqués. Les soldats ont été obligés de les abandonner et de continuer à pied », affirme à l’AFP l’analyste militaire ukrainien Mykola Beleskov.

« Ce problème existe, et il va s’aggraver », ajoute-t-il, au sujet de l’arrivée de cette débâcle des fameuses « terres noires », ou tchernozioms, qui ont fait la richesse agricole de l’Ukraine et des régions voisines entre le Don et la Volga.

Les troupes de Napoléon en ont fait la pénible expérience, retardées lors de leur retraite de Russie fin 1812 au point d’être rattrapées par les rigueurs de l’hiver.

« Le temps pas en faveur de Poutine »

Sur le front Est pendant la Deuxième Guerre mondiale, « si les grandes opérations mécanisées étaient presque complètement arrêtées pendant les grandes pluies d’automne ou lors des dégels du printemps à cause de la célèbre raspoutitsa, la boue des plaines russes, elles reprenaient en hiver, lorsque les sols avaient à nouveau durci », expliquait l’historien Laurent Henninger dans la revue Défense nationale en 2015.

« C’est avec l’arrivée de l’hiver 1941 que Hitler put lancer sa grande offensive – ratée – destinée à prendre Moscou », soulignait-il dans un article au sujet de l’impact du facteur climatique sur la guerre.

Dans le sens inverse, la raspoutitsa a freiné la contre-offensive soviétique en 1943.

« Rappels historiques : le dégel engendre une saison des boues (raspoutitsa) qui dure 3-4 semaines, et remonte du Sud (Crimée) vers le Nord en quelques jours jusqu’au Bélarus. En 1942, elle a débuté vers le 21/03. En 1943, le 18/03. En 1944, le 17/03 », indique sur Twitter l’historien militaire Cédric Mas.

« Le temps ne joue pas en faveur de Poutine », estimait-il dimanche, relevant, outre les sanctions et l’isolement diplomatique de la Russie, que « la météo va se dégrader prochainement avec la raspoutitsa ».

« Le début du printemps est un mauvais moment pour envahir l’Ukraine », écrivait le professeur en stratégie de sécurité nationale Spencer Meredith dans un article publié à quelques jours du début de l’invasion par le Modern War Institute de la prestigieuse académie militaire américaine de West Point.

« Clouées au sol »

« Normalement, à la mi-février, les routes sont recouvertes de couches de glace et de neige compactes, qui fondent ensuite pour révéler un +champ de mines+ de nids-de-poule », soulignait-il.

Cette année, selon les dernières prévisions, le phénomène devrait se manifester à partir de la mi-mars.

Pour les troupes russes « la situation va empirer à mesure que le temps se réchauffe et que les pluies commencent », confirme Mykola Beleskov. « Elles vont se retrouver clouées au sol », poursuit-il.

La raspoutitsa, « rendant les sols boueux, canalise les opérations sur le bitume des routes et des rues », relevait la semaine dernière l’historien militaire Michel Goya dans la revue Le Grand Continent. Une configuration qui contraint les forces d’invasion à progresser en colonnes sur les axes routiers, plus exposées aux problèmes logistiques ou aux attaques.

Le facteur climatique est un des principaux atouts de l’Ukraine face à la supériorité militaire russe, approuve Jason Lyall, spécialiste de la violence politique dans les guerres civiles et conventionnelles et enseignant à l’université américaine de Dartmouth.

« Les quatre cavaliers de l’armée ukrainienne: le Javelin, le Stinger, la raspoutitsa et TikTok », résume-t-il sur Twitter, en référence aux lance-missiles antichars Javelin, aux missiles antiaériens Stinger et au réseau social largement utilisé pour rendre compte de la guerre.

© AFP

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3 commentaires

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    • Balendard

    Une fois passé ce « raspoutitsa » qui ne devrait pas empècher la Russie d’accomplir son terrible dessein il faut espérer que l’Europe va comprendre que son intérêt sur le moyen terme est de prendre en compte les conseils du président américain Jo Biden, A savoir de se libérer de sa dépendance au pétrole et au gaz russe.
    Ceci compte tenu du fait qu’acheter au prix fort ces carburants à la Russie c’est financer indirectement la guerre en Ukraine. Vu la forte dépendance au gaz de l’industrie et de l’agriculture européenne
    cela ne va pas être simple. Par contre l’Europe qui commence à comprendre qu’elle peut satisfaire le besoin pour la voiture en modifiant sa motorisation doit se pencher sans attendre vers la possibilité qui lui est également offerte de satisfaire à court terme son besoin pour l’habitat grâce à la  » Solar Water Economy ». Et ceci en laissant de côté la chaîne énergétique du nucléaire et son association avec le militaire.
    Voir à ce sujet les liens
    http://www.infoenergie.eu/riv+ener/SWE2-E.pdf
    et
    http://www.infoenergie.eu/riv+ener/2consommation.pdf

    • Balendard

    Mon message n’est pas passé je le renvoie Goodplanet sous une autre forme

    Il faut espérer que l’Europe va comprendre que son intérêt sur le moyen terme est de prendre en compte les conseils du président américain Jo Biden, A savoir de se libérer de sa dépendance au pétrole et au gaz russe.

    Acheter au prix fort ces carburants à la Russie c’est certes financer indirectement la guerre en Ukraine mais il faut malheureusement se rendre à l’évidence: vu les importantes réserves financières de la Russie ce « raspoutitsa » va tout au plus ralentir l’inévitable. Ceci sans empècher la Russie d’accomplir son terrible dessein.

    Vu la forte dépendance au gaz de l’industrie et de l’agriculture européenne il ne va pas être simple être simple de se libérer de cette dépendance au pétrole et au gaz russe.

    Par contre l’Europe qui commence à comprendre qu’elle peut satisfaire le besoin pour la voiture en modifiant sa motorisation doit se pencher sans attendre vers la possibilité qui lui est également offerte de satisfaire à court terme son besoin pour l’habitat grâce à la  » Solar Water Economy ». Et ceci en laissant de côté la chaîne énergétique du nucléaire et son association avec le militaire.

    • Claude Courty

    De quoi freiner la progression russe, en ajoutant à la résistance héroïque des Ukrainiens des dificultés de terrain favorisant la négociation, quelles que soient les intentions profondes de Poutine.
    Il est en tout cas remarquable qu’un tel stratège, et son entourage d’experts militaires, aient pu ne pas anticiper un phénomène ayant déjà entraîné la perte d’autres tyrans.
    Ne pas se réjouir pour autant : d’autres armes existent et le dégel frappe aussi la résistance ukrainienne, ainsi que la malheureuse cohorte des victimes civiles.

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