L’agroécologie, l’être humain dans sa responsabilité à l’égard du vivant

« La terre… Combien sommes-nous à comprendre cette glèbe silencieuse que nous foulons durant toute notre vie, quand nous ne sommes pas confinés dans des agglomérations hors-sol qui nous la rendent encore plus étrangère? La terre nourricière est, parmi les quatre éléments majeurs, celui qui n’a pas existé dès l’origine. Il a fallu des millénaires pour que la mince couche de terre arable d’une vingtaine de centimètres à laquelle nous devons la vie puisse se constituer.

Univers silencieux d’une extrême complexité, siège d’une activité intense, elle est régie par une sorte d’intelligence mystérieuse et immanente. C’est dans ce monde discret que s’élaborent, comme dans un estomac, les substances qui permettront aux végétaux de se nourrir, de s’épanouir pour se reproduire, et c’est aux végétaux que les humains et les animaux doivent leur propre survie. Il est donc urgent de reconnaître que la dénomination « terre-mère » n’est pas une métaphore symbolique ou poétique, mais une évidence objective.

Ainsi s’est établie une logique extraordinaire fondée sur la cohésion du vivant. La terre, le végétal, l’animal et l’humain sont de cette manière unis et indissociables. Prétendre nous abstraire de cette logique, la dominer ou la transgresser impunément est une dangereuse illusion. Avec l’ère de la technoscience, de la productivité et de la marchandisation sans limite, on ne voit plus dans la terre et les végétaux qu’une source de profit financier. Semences sélectionnées, dégénérescentes ou non reproductibles, engrais, pesticides, monocultures, irrigation à outrance, machinisme…: l’agriculture n’a pas échappé à la logique de productivisme. Suivant les processus et les mécanismes inspirés par la loi du marché et du profit illimité, elle a porté gravement atteinte à la terre nourricière. Elle s’accompagne d’un bilan économique, écologique et social dramatique: destruction de l’humus des sols, pollution des eaux, perte de la biodiversité domestique animale et végétale, disparition des paysans, de leurs savoir-faire et de leur culture, dévitalisation de l’espace rural, avancée de la désertification, manipulation et brevetage des semences… La terre est vivante et ne peut pas être assujettie à toutes ces exactions sans de graves dommages pour l’avenir.

Par ailleurs, ce mode de production agricole se révèle être le plus onéreux, vulnérable, dépendant et le moins rentable de toute l’histoire de l’humanité: 4.000 litres d’eau sont nécessaires pour produire un kilo de viande, il faut 2 à 3 tonnes de pétrole pour fabriquer une tonne d’engrais et 12 calories d’énergie pour obtenir 1 calorie alimentaire… Entre excès, gaspillages et scandales alimentaires d’un côté, pénuries et famines de l’autre, l’agriculture productiviste, après s’être exprimée librement pendant des décennies, montre sérieusement ses limites. Le magnifique terme de « nourriture » qui, au-delà de la matière nutritive, a des résonances symboliques et poétiques, monde de saveurs subtiles qui réjouissent l’âme et le corps, a cédé la place à « la bouffe » qui désigne cette matière surabondante, frelatée, manipulée, polluée, cause d’un désabusement où les biens de la terre ne nous parviennent plus comme des offrandes que chaque saison nous apporte en temps et lieux les plus propices.

On commence enfin à faire le rapprochement de cause à effet entre la nourriture et le véritable fléau des pathologies dites de civilisation qui, en dépit de nos connaissances, de nos équipements médicaux les plus sophistiqués, ne cessent de s’étendre. La nourriture, l’air, l’eau, attributs fondamentaux de la vie, garants de la vie depuis les origines, deviennent peu à peu les complices de la mort. Faut-il encore et encore rappeler qu’il sera toujours, et quoi que l’on fasse, impossible d’avoir une nourriture de grande qualité sans comprendre, respecter et soigner la terre qui la produit? Répondre aux nécessités de notre survie tout en respectant la vie sous toutes ses formes est à l’évidence le meilleur choix que nous puissions faire si nous ne voulons pas être exposés à des famines sans précédent.

C’est pourquoi il est selon nous d’une importance décisive que l’agroécologie que nous préconisons, enseignons et appliquons depuis plusieurs décennies se répande dans le monde entier. S’appuyant sur un ensemble de techniques inspirées de processus naturels comme le compostage, le non-retournement du sol, l’utilisation de purins végétaux, les associations de cultures…, elle permet aux populations de regagner leur autonomie, sécurité et salubrité alimentaires tout en régénérant et préservant leurs patrimoines nourriciers. Parce qu’elle est fondée sur une bonne compréhension des phénomènes biologiques qui régissent la biosphère en général et les sols en particulier, elle est universellement applicable.

La pratique agroécologique a le pouvoir de refertiliser les sols, de lutter contre la désertification, de préserver la biodiversité, d’optimiser l’usage de l’eau. Elle offre une alternative peu coûteuse et adaptée aux populations les plus démunies. Par la revalorisation des ressources naturelles et locales, elle libère le paysan de la dépendance des intrants chimiques et des transports, générateurs de tant de pollutions et responsables d’une véritable chorégraphie de l’absurde, où des denrées anonymes parcourent chaque jour des milliers de kilomètres plutôt que d’être produites sur place. Enfin, elle permet de produire une alimentation de qualité, garante de bonne santé pour la terre et ses enfants.

Par ailleurs, l’agroécologie bien comprise peut être à la base d’une mutation sociale. Elle est une éthique de vie qui introduit un rapport différent entre l’être humain, sa terre nourricière et son milieu naturel et permet de stopper le caractère destructeur et prédateur de cette relation.

C’est ainsi qu’elle représente pour nous bien plus qu’une simple alternative agronomique. Elle est liée à une dimension profonde du respect de la vie et replace l’être humain dans sa responsabilité à l’égard du vivant. Bien au-delà des plaisirs superficiels toujours inassouvis, elle lui permet de retrouver la vibration de l’enchantement, le sentiment de ces êtres premiers pour qui la création, les créatures et la terre étaient avant tout sacrées.

2 commentaires

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    • Lisa

    biodiversité commentaire sur les réflexions de pierre rabhi
    les écrits de pierre rabhi sont si simples, naturels et essentiels comme dans les temps reculés du passé. Notre planète nourriçière ne doit pas être agressée par les industries chimiques et industrielles quelqu’elles soient, c’est un crime de lèse majesté vis-à-vis des enfants actuels et de ceux à venir s’ils arrivent!!. Il y a trop de problèmes sanitaires découlant des nourritures d’après-guerre et d’aujourd’hui.Toujours plus de profits, rendements et mauvaises qualité pour l’humanité de la terre, c’est très inquiétant, agissons now, immediately…………… ALL TOGETHER NOW. Tous ensemble maintenant. Avant que nous ne puissions faire marche arrière, que le temps soit révolu.

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