La folie des subventions à la pêche

© JENS BUTTNER / DPA / AFP
Fishermen empty their nets of herring on board the "Hilde" on April 8, 2013 in the Bay of Greifswald off the coast of Freest in north-eastern Germany. This year saw a late start to the herring season due to the prolonged winter weather. AFP PHOTO / JENS BUTTNER GERMANY OUT
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On dit que l’argent est le nerf de la guerre, alors parlons d’argent. L’Union européenne fait face à une crise économique sévère, et l’argent se fait rare alors que tous les Etats sans exception en ont de plus en plus besoin. Au moment même où les manifestations contre l’austérité battent le pavé des capitales européennes et où les parlementaires et gouvernements débattent à Bruxelles du budget de l’Union pour les six prochaines années, un autre sujet qui passe inaperçu pour qui ne s’intéresse pas à la pêche, suscite d’âpres débats à Bruxelles et pose les mêmes questions que celles soulevées par la crise économique qui nous traversons. Les enjeux sont pourtant cruciaux puisque qu’il s’agit ni plus ni moins de défendre l’avenir de la pêche en Europe.

Le secteur de la pêche ne fait en effet pas exception à la morosité économique ambiante. Alors qu’en Europe, seul un petit nombre de flottes de pêche sont rentables, la grande majorité ne l’est pas malgré les subventions qu’elle reçoit. En France, un tiers des revenus des entreprises de pêche provient d’aides publiques en tout genre, européennes et françaises, y compris sous la forme d’exonération de la taxe sur les carburants. Autant dire que sans ce soutien financier, le secteur de la pêche meurt. S’il semble légitime que les gouvernements s’attellent à sauver un secteur qui chute, continuer d’appliquer les mêmes méthodes que celles qui l’ont conduit à la faillite n’est certainement pas la meilleure solution. C’est même ce qu’Einstein appelait la folie.

Trente ans de mauvaise gestion nous ont conduits à la surexploitation systématique des stocks de poissons. Pendant vingt ans, les gouvernements ont, si l’on peut dire, « géré » la pêche comme si elle était une ressource inépuisable ; puis, pendant les dix années suivantes et après s’être rendu compte de leur erreur, ils ont utilisé l’argent public pour non pour s’attaquer aux origines du problème et rectifier leur bévue, mais pour amortir à coup de solutions de fortune, la chute inéluctable d’un secteur naufragé. S’ils travaillaient dans le secteur privé, nul doute que ces décideurs politiques seraient au chômage aujourd’hui encore, car leur système de gestion a consisté à engloutir en quelques décennies à la fois les intérêts annuels et l’ensemble du capital des ressources qu’ils étaient censés gérer.

Qu’importe le nombre de bateaux et les quantités de poissons pêchées si la mer est inépuisable. Mais là est la faille, elle a ses limites que la raison des Etats a trop longtemps ignorées. Aujourd’hui, il y a trop de bateaux de pêche qui sont trop puissants. Plusieurs politiques ont été mises en place pour tenter d’y remédier, notamment en subventionnant la démolition pour diminuer le nombre de bateaux en activité. Ce fut en pure perte non seulement parce que les améliorations technologiques ont compensé la diminution du nombre de navires, mais également parce que cet argent fut dépensé à l’aveugle, sans réellement savoir où se trouvait le problème de surcapacité de pêche. La France a par exemple gaspillé près de 1,3 million d’euros pour détruire un navire qui ne pêchait plus depuis plus d’un an ; cette somme aurait suffi à créer 260 emplois.

Pour remédier à cette situation et en finir avec la dépendance du secteur de la pêche sur les aides publiques, la Commission Européenne a proposé de remanier la façon dont cet argent doit soutenir le secteur de la pêche et a ainsi supprimé les mécanismes qui se sont révélés inefficaces, en particulier ce système de financement de la destruction des navires. Mais plusieurs Etats membre, dont la France, s’y opposent farouchement et se battent âprement contre la Commission pour ne surtout rien changer au système actuel. Le Parlement européen suit le mouvement et va même jusqu’à demander la réintroduction d’aides à la construction des navires, lesquelles avaient été supprimées il y a plus de dix ans.

Il est bon parfois de rappeler des évidences : la bonne santé économique du secteur de la pêche dépend de la bonne santé des stocks halieutiques et donc des écosystèmes marins. Au lieu d’utiliser l’argent public pour cacher d’un voile pudique le déclin affolant des stocks halieutiques, investissons dans la ressource pour garantir que la mer produise le maximum de ce qu’elle peut car c’est la seule chose à faire pour la pêche redevienne une activité économique rentable. Les subventions doivent en priorité être utilisées pour préserver la productivité des mers et pour améliorer la connaissance des écosystèmes marins afin d’adapter au mieux notre système de gestion. Par exemple, investir dans la création et la gestion d’aires marines protégées, c’est investir dans l’avenir car non seulement elles permettent aux stocks de se reconstituer et aux écosystèmes de récupérer, mais également parce qu’elles sont une assurance qui permet d’amortir le choc des erreurs de gestion qui ne peuvent pas toujours être évitées.

La crise économique nous a appris qu’il est grand temps que les décideurs politiques voient plus loin que la fin de leur mandat et se positionnent en gestionnaire d’une ressource qui nous appartient à tous. Des décisions finales qui seront prises au cours des prochains mois pour réformer la politique commune de la pêche dépendra l’avenir d’un secteur économique que nous voulons tous voir préservé.

La folie des subventions à la pêche

par Xavier Pastor

Directeur, Oceana Europe

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