Un bébé loutre pour un selfie: les réseaux sociaux sur le banc des accusés

selfies animaux loutre
Des enseignes de cafés où se trouvent des animaux exotiques, dont des loutres (en bas), dans le district de Harajuku à Tokyo (Japon), le 21 août 2019.
© AFP Toshifumi KITAMURA

Genève (AFP) – Poster des selfies avec une loutre de compagnie ou d’autres animaux menacés de disparition peut sembler anodin, mais les écologistes affirment que cette mode pourrait conduire à l’extinction de certaines espèces.

« Le commerce illégal des loutres s’est soudainement accru de façon exponentielle », explique Nicole Duplaix, qui co-préside le groupe spécialisé sur les loutres à l’Union internationale pour la conservation de la nature.

Toutes les espèces de loutres d’Asie sont depuis longtemps considérées comme vulnérables ou menacées en raison du rétrécissement de leur habitat naturel et du commerce illégal de leur fourrure.

Mais les écologistes accusent les réseaux sociaux d’être à l’origine de la frénésie qui a fait bondir la demande de bébés loutres dans certains pays d’Asie, en particulier au Japon, et qui fait peser une menace sur l’avenir de l’espèce.

Les milliers de délégués venus à Genève (Suisse) pour participer à une conférence de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) doivent notamment se prononcer sur la protection de deux espèces de loutres d’Asie particulièrement en danger.

La loutre cendrée, également appelée loutre naine, et la loutre à pelage lisse figurent déjà sur l’Annexe II de la CITES en tant qu’espèces menacées, mais l’Inde, le Népal, le Bangladesh et les Philippines demandent qu’elles soient incluses dans l’Annexe I, ce qui signifierait l’interdiction totale de leur commercialisation internationale.

Les écologistes estiment que cette démarche est vitale pour ces deux espèces, dont la population a chuté d’au moins 30% au cours des 30 dernières années et dont le déclin s’est encore accéléré avec la mode des loutres de compagnie.

« Il y a un vrai désir de posséder ces animaux exotiques qui est alimenté par les réseaux sociaux », selon Cassandra Koenen, de l’ONG canadienne Wildlife not Pets.

Certains comptes sur Instagram et Facebook drainent des centaines de milliers de followers, qui postent à leur tour des commentaires attendris sur les photos de loutres naines, tels que « trop mignonne » ou « j’en veux une ».

Mme Duplaix reconnaît que ce sont des « créatures très charismatiques », tout en déplorant que « ce soit justement leur côté mignon qui cause leur perte ».

Les selfies masquent les souffrances endurées par ce petit mammifère qui vit en communauté dans la nature et que l’on place brusquement en captivité et à l’isolement.

Mme Koenen a notamment cité les nombreux « vidéos gags » montrant des loutres tournant sur elles-mêmes, ce qui, pour un oeil exercé, est la manifestation d’une « énorme souffrance ».

Face à cette demande en pleine croissance, des chasseurs et des pêcheurs en Indonésie tuent les loutres adultes et emportent les bébés qui sont mis dans des cages et expédiés pour servir d’animaux de compagnie.

La principale destination est le Japon, où un bébé loutre peut valoir jusqu’à 10.000 dollars.

Des « cafés à loutres » ont également fait leur apparition dans l’archipel nippon, où les clients sont encouragés à acheter des petits morceaux de nourriture pour les animaux en cage et à faire des selfies avec eux en buvant leur café.

« C’est un environnement totalement anormal pour elles », a relevé Mme Koenen.

Elle déplore que les loutres domestiquées aient un accès limité à l’eau, qui fait pourtant partie de leur élément naturel, et qu’elles ne vivent plus en communauté.

Pour elle, les photos racontent une histoire totalement différente de la réalité, car ces animaux sauvages ont une odeur forte et ont tendance à mordre: « Ce sont des animaux de compagnie très inadaptés. »

Elle reproche aux plateformes des réseaux sociaux de faciliter le commerce d’animaux exotiques comme les loutres et de déclencher des achats impulsifs sans réfléchir à ce que signifie d’avoir un animal sauvage chez soi.

Les loutres ne sont pas les seules espèces impactées par ce phénomène de mode.

Parmi les 56 propositions soumises à la CITES pour réclamer une plus grande protection, 22 concernent des espèces, comme les lézards, les geckos, les tortues et les araignées, qui sont elles aussi chassées pour ce commerce qui brasse des milliards de dollars.

« Des bébés loutres meurent, et pour quoi? Un selfie », se désole Paul Todd de l’ONG américaine Natural Resource Defense Council (NRDC). « Nous devons arrêter ça. »

© AFP

Ecrire un commentaire