La menace des conteneurs

conteneur

Porte-conteneurs de la société CMACGM : le «MEDEA», Rail d’Ouessant, Finistère, France (48°46' N - 5°36' O). © Yann Arthus-Bertrand

Si les déversements d’hydrocarbures intéressent l’opinion publique et suscitent son inquiétude, les « déversements biologiques » pourtant plus dangereux à long terme, passent eux, plus inaperçus.

Un champignon exotique est responsable de l’extermination de milliards de châtaigniers américains au début du 20eme siècle, transformant au passage le paysage et l’écosystème de manière radicale. Aujourd’hui, l’agrile du frêne – une autre maladie qui voyage vers de nouveaux habitats en empruntant les routes du commerce mondial – menace de faire la même chose avec un arbre utilisé depuis longtemps par les hommes pour fabriquer des manches d’outils, des guitares et du mobilier de bureau.

Il est probable que le plus grave de tous les « déversements biologiques » a eu lieu lorsqu’un microorganisme eucaryote (semblable à un champignon et appelé Phytophthora infestans, le nom de l’espèce vient du Grec « destructeur de végétaux ») a entrepris un voyage de l’Amérique jusqu’en Belgique. En l’espace de quelques mois, il a atteint l’Irlande, déclenchant un mildiou de la pomme de terre qui a provoqué une famine,  de nombreux décès ainsi qu’un déplacement massif de la population.

Et la liste continue. Une espèce proche du crapaud géant très répandue en Australie, s’est récemment enfuie d’un conteneur transportant des marchandises vers Madagascar (haut-lieu de la biodiversité) et la capacité des femelles à pondre 40 000 œufs chaque année représente non seulement une menace pour les oiseaux et lémuriens locaux mais aussi pour l’habitat de nombreux animaux et végétaux.

A Rome, les autorités municipales intensifient leur campagne annuelle contre le moustique tigre, une espèce envahissante arrivée en Albanie par bateau dans les années 1970.

L’Aedes albopictus, connu pour ses morsures agressives, prolifère à présent en Italie et le réchauffement climatique rendra des pans entiers de l’Europe du Nord propices à la colonisation.

Dans un tel contexte, les pays du monde entier se sont donc réunis il y a six ans pour établir la Convention internationale pour la protection des végétaux afin d’empêcher le commerce international de contribuer à la propagation de ravageurs et maladies des plantes et afin de protéger les agriculteurs, les exploitants forestiers, la biodiversité, l’environnement et les consommateurs.

« Les pertes de récolte et les frais de contrôle engendrés par les maladies exotiques pèsent énormément sur la production alimentaire, la production de fibre et la production fourragère, » a indiqué Craig Fedchock, coordonnateur du secrétariat de la CIPV au sein de la FAO. « Tous ensemble, les mouches des fruits, les coléoptères, les champignons et parentés réduisent les rendements agricoles mondiaux de 20 à 40 pour cent », a-t-il expliqué.

Le commerce comme un vecteur, les conteneurs comme un moyen

Les espèces envahissantes arrivent dans de nouveaux habitats par divers moyens mais le transport maritime est le principal d’entre eux.

Aujourd’hui, le transport maritime est synonyme de conteneurs maritimes : chaque année près de 527 millions de voyages sont réalisés à l’aide de conteneurs maritimes – A elle seule, la Chine gère plus de 133 millions de conteneurs maritimes chaque année. Il ne s’agit pas seulement du cargo, mais des machines en acier elles-mêmes, qui peuvent servir de vecteurs pour la propagation d’espèces toxiques capables de semer un chaos écologique et agricole.

Par exemple, l’analyse de 116,701 conteneurs maritimes vides arrivant en Nouvelle Zélande ces cinq dernières années a montré qu’un sur dix était contaminé à l’extérieur, soit deux fois plus que le taux de contamination intérieur.

Les ravageurs indésirables comme l’arpenteuse de l’orme, l’escargot géant africain, les fourmis d’Argentine ou encore la punaise marbrée menacent les cultures, les forêts et les milieux urbains. De plus, les résidus sur le sol peuvent contenir des graines de plantes envahissantes, des nématodes et des plantes pathogènes.

« Les rapports d’inspection en provenance des Etats-Unis, d’Australie, de Chine et de Nouvelle Zélande indiquent que des milliers d’organismes de grande diversité se déplacent sans le vouloir avec les conteneurs maritimes, » a déclaré le scientifique responsable de l’étude, Eckehard Brockerhoff de l’Institut de recherche forestière de Nouvelle Zélande, qui s’exprimait lors d’une réunion de la Commission des mesures phytosanitaires (CPM) à la FAO, l’organe directeur de la CIPV.

Les punaises marbrées et la chaîne d’approvisionnement

« Les dégâts vont au bien au-delà des problèmes liés à l’agriculture et à la santé humaine. Les espèces envahissantes peuvent provoquer l’obstruction de voies navigables et la fermeture de centrales. Selon une étude, les invasions biologiques entraînent des dégâts estimés à près de cinq pour cent de l’activité économique mondiale annuelle, soit l’équivalent d’environ dix années de catastrophes naturelles. Si l‘on ajoute à cela les répercussions qui sont plus dures à mesurer, on peut doubler la mise, » a précisé M. Brockerhoff.

Aujourd’hui, près de 90 pour cent du commerce mondial se fait par voie maritime, avec une large panoplie de différentes logistiques, et en se basant sur une méthode d’inspection plutôt vague. Quelques 12 millions de conteneurs sont entrés aux Etats-Unis l’année dernière en utilisant au moins 77 ports.

De plus, de nombreux cargos se déplacent vers l’intérieur pour prendre part aux chaînes d’approvisionnement « juste-à-temps » – c’est ainsi que la terrible punaise marbrée, capable d’engloutir en un temps record fruits et plantes, a débuté sa tournée européenne il y a quelques années à Zurich. Cet insecte préfère nettement les coins et recoins en acier dans le cadre de ses longs voyages, et une fois installé, se plaît à aménager des sites d’hibernation à l’intérieur des maisons.

La Nouvelle Zélande, qui dépend beaucoup des exportations agricoles, a appliqué un système associant des techniques de biosécurité de dernier cri à des mesures portant sur la propreté des conteneurs dans le but de repousser les espèces envahissantes. Le système dépend de la collaboration de l’industrie du transport maritime et des inspections réalisées dans plusieurs ports du Pacifique. Il offre également une plus-value économique avec les quelques inspections en moins à faire à l’arrivée des conteneurs se conformant aux règles. Les taux de contamination des conteneurs étaient 50 fois plus élevés avant l’adoption de ce système il y a une dizaine d’années.

Elaborer un plan d’action phytosanitaire

L’année dernière, la Commission des mesures phytosanitaires a adopté une recommandation encourageant les organisations nationales pour la protection des végétaux à reconnaitre et à faire connaitre les risques posés par les conteneurs maritimes mais aussi à soutenir la mise en place de certains points du Code des bonnes pratiques pour le chargement des cargaisons dans un conteneur maritime (CTU), un guide non réglementaire sur l’industrie.

Cela permettrait aux principaux acteurs du domaine de mettre en place un système destiné à répondre à ces préoccupations sans pour autant freiner l’essor du commerce.

A l’heure actuelle, des  grues automatisées sont capables de charger et de décharger des conteneurs en une vingtaine de secondes dans un port moyen comme celui d’Hambourg, qui gère par exemple un quart du volume de celui de Shanghai.

Face au manque de temps, un large consensus a été adopté sur les risques encourus qui sont considérés assez graves pour justifier certaines mesures.

Pour le moment, l’heure est à la prudence et les principaux acteurs du secteur disposent d’un peu de temps pour mettre en place ces mesures non contraignantes et volontaires pour démocratiser l’utilisation des bonnes pratiques et pour une mise en œuvre consciencieuse des procédures actuelles. En fonction du succès de ces efforts, la Commission se penchera sur l’éventuel développement d’une norme internationale à l’avenir.

Une menace pesante: les conteneurs maritimes propagent des organismes nuisibles et des maladies
par la FAO

Un commentaire

Ecrire un commentaire

  • Bonjour.

    Bon je trouve ça très interpellant, je dois dire, je savais déjà, mais l’article que j’avais lu, il y a plusieurs années ne faisait qu’énoncer les risques, sans entrer dans les détails.

    Si le sujet m’interpelle au plus haut point, je tiens juste à rappeler, que les précautions à prendre, en amont, si efficaces soient elles, ne parviendront jamais, à empêcher, les risques.

    Plus que dans n’importe quelle autre prophylaxie (c’est comme ça, qu’on dit, non ?), le risque zéro, n’existera jamais.

    Mais ça m’inspire d’autres, réflexions, que je vais m’empresser de poser, sur mon site internet.