Les femmes kamikazes sont devenues l’arme emblématique du groupe djihadiste nigérian Boko Haram

Crédit photo : Ikechukwu Ibe/IRIN
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Le phénomène des femmes kamikazes n’est pas nouveau. Il a été observé dans d’autres conflits récents – de la Tchétchénie à l’Irak, du Pakistan à la Palestine, de la Syrie au Sri Lanka – mais jamais elles n’ont été aussi nombreuses qu’avec l’insurrection de Boko Haram.

D’après les chercheurs Elizabeth Pearson et Jacob Zenn, plus de 200 femmes kamikazes se sont fait exploser depuis juin 2014, faisant plus de 1 000 morts au Nigeria et un nombre croissant de victimes au Cameroun voisin.

Il semblerait qu’au départ, l’utilisation de femmes ait été motivée par leur capacité à accéder plus facilement aux marchés et autres lieux publics sans éveiller les soupçons – mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le quartier général de la Défense nigériane a averti le mois dernier que les femmes kamikazes se déguisaient désormais en hommes pour échapper aux contrôles de sécurité.

« Les gens sont inquiets. La plupart des kamikazes sont des femmes âgées de 10 à 20 ans et quelques », a dit à IRIN Suleiman Aliyu, directeur d’école à Maiduguri, une ville du nord-est du pays. « Certains prétendent qu’une façon de les identifier est d’observer si elles ont une bosse au niveau du ventre. Quand c’est le cas, elles se font arrêter et on leur demande de lever les mains en l’air, ou de s’accroupir. Puis elles explosent. »

« Profondément insignifiantes »

Le recours aux kamikazes est souvent perçu comme une tactique de la dernière chance, marquant le passage à une guerre asymétrique suite à une défaite sur le champ de bataille traditionnel.

Mais à l’époque où la première femme s’est fait exploser – à un poste de contrôle à l’extérieur de baraquements militaires à Gombe, au nord du pays – Boko Haram détenait de larges pans du territoire, et l’armée nigériane était en mauvaise posture.

Ce qui rend ce conflit si remarquable est le fait que les femmes constituent une ressource abondante et soient considérées comme « profondément insignifiantes », a dit Ryan Cummings, analyste en chef des questions de sécurité pour l’Afrique auprès de l’entreprise de gestion des crises red24.

Enlever des femmes fait partie de longue date de la stratégie de Boko Haram. Cela a commencé après que le gouvernement nigérian eut arrêté les femmes des commandants de Boko Haram, y compris celle de son chef, Abubakar Shekau. Sa revanche – à compter de 2013 – a d’abord consisté à enlever des femmes chrétiennes pour les exploiter sexuellement et les contraindre à se convertir. Les femmes musulmanes étaient généralement relâchées ; tous les hommes étaient assassinés.

Il semblerait que cette différenciation ne soit plus de mise. Femmes et fillettes sont désormais enlevées sans distinction de religion. Violées sous couvert de faux mariages, leur exploitation sert à renforcer la cohésion parmi les combattants et à terroriser les populations, ont dit les chercheurs Mia Bloom et Hilary Matfess.

L’ampleur connue du phénomène – les plus de 270 jeunes filles enlevées à Chibok en 2014 et les 400 femmes et enfants de Damasak l’année dernière – ne concerne que les cas les plus médiatisés.

Contraintes ou engagées ?

Nous avons tendance à voir les femmes kamikazes comme nécessairement contraintes – comme ne pouvant pas agir de leur propre chef. De nombreuses preuves viennent étayer ce point de vue. Des fillettes, trop jeunes pour qu’il s’agisse d’une décision éclairée, ont été contraintes à mourir en martyr. Certaines d’entre elles auraient même été déclenchées à distance par leurs complices masculins.

Cependant, il a également été fait état de femmes jouant un rôle actif au sein du mouvement – pas simplement des femmes manipulées ou trompées servant de chair à canon.

Mme Pearson souligne qu’en 2014, une prétendue « aile féminine » de recruteurs et d’espions a été démantelée ; on sait que des femmes ont servi à faire passer des armes ; d’autres auraient ouvert le feu sur des soldats nigérians venus les libérer ; et des femmes captives se seraient  portées volontaires pour la réalisation d’attentats suicides.

« À mon avis, Boko Haram doit bénéficier de nombreux soutiens féminins, actifs et passifs, depuis ses débuts et aujourd’hui encore », a dit Alex Thurston du Programme d’études africaines de l’université de Georgetown, à IRIN. « Boko Haram n’aurait pas pu fonctionner sans cela. »

Il est facile d’imaginer que l’ensemble de facteurs poussant les hommes à s’enrôler – revanche vis-à-vis des excès des forces de sécurité, argent pour la famille et promesse d’une récompense spirituelle en échange d’un sinistre cadeau – peut également amener les femmes à jouer un rôle plus direct.

Mais bien que certaines femmes puissent être idéologiquement favorables à un djihad violent, « on trouve moins de preuves de cet engagement chez les femmes kamikazes », a écrit Mme Pearson.

Mmes Bloom et Matfess s’interrogent : une radicalisation sincère est-elle possible chez ces femmes persécutées ? « Les femmes appartenant à l’entourage des insurgés partagent-elles l’idéologie et les mêmes objectifs que les hommes, ou souffrent-elles d’un trauma grave entraînant une forme de “syndrome de Stockholm” ? »

La même question se pose pour les jeunes hommes kidnappés et contraints à se battre : les raisons derrière de telles décisions sont toujours complexes.

« Je ne pense pas qu’il existe une réponse tranchée [à ces questions], ni que nous soyons proches de la trouver », a dit Mme Pearson à IRIN.

Les informations que l’on a sur les femmes kamikazes nous proviennent presque exclusivement de la presse. La plupart du temps nous ne savons presque rien de ces femmes, pas même leur nom ou leur âge. Les seules exceptions concernent les rares femmes ayant abandonné leur mission, ou s’étant faites arrêtées avant d’atteindre leurs cibles

Marchandises

Cela en dit long sur la manière dont Boko Haram considère ses femmes kamikazes.

« Elles ne laissent aucune vidéo, leurs attaques ne sont pas revendiquées, elles n’accèdent pas à la gloire », a écrit Mme Pearson. « Ces femmes et ces jeunes filles ont majoritairement frappé des marchés, des dépôts de bus et des rassemblements civils, plutôt que des cibles plus honorifiques. »

Dans l’idéologie de Boko Haram, les hommes sont des combattants ultra masculins, et les femmes sont des travailleuses domestiques. Lorsque Abubakar Shekau fait référence aux femmes, s’est souvent comme à des symboles ou à des marchandises : l’honneur perdu de Boko Haram du fait des mauvais traitements infligés à « leurs » femmes musulmanes, et la promesse glaçante que les lycéennes de Chibok seraient « vendues » au marché.

Les fondements idéologiques de Boko Haram sont fragiles – surtout sous Shekau, fait remarquer M. Cummings. À l’intérieur du califat autoproclamé que contrôlait l’insurrection, il semblerait que la vie rurale ait suivi son cours normal. Aucune administration radicale n’a été imposée, et il semblerait qu’il n’y ait pas eu la moindre tentative de justification des actions les plus extrêmes du groupe – notamment l’utilisation de femmes et d’enfants kamikazes.

« Une telle approche souligne l’absence d’intérêt qu’avait Boko Haram à rallier des soutiens locaux », souligne Mme Pearson. Plutôt qu’une approbation locale, Shekau cherchait à s’attirer la reconnaissance du prétendu État islamique et de son chef Abu Bakr al-Baghdadi, à qui il a prêté allégeance en 2015, a-t-elle suggéré.

Mais alors que l’État islamique dispose d’une base de données de ses combattants lui permettant de contacter leur famille lorsque ces derniers meurent en martyr, Boko Haram est bien moins organisé.

« Boko Haram, ce sont des criminels opportunistes ; des combattants idéologiques ; des recrues forcées ; et des personnes dont les familles entières sont profondément engagées, et ce depuis des années », a dit Mme Pearson.

« Cette complexité – y compris le rôle des hommes et des femmes – est difficile à accepter. Nous voudrions que ça soit plus simple, et ça ne l’est pas. »

Par Obi Anyadike

Un commentaire

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    • Ibrahim Souleymane

    Vous aviez tout a fait raison. Boko haram n’a aucun projet de société ni religieux.si non un territoire conquis qu »on cherche à y sejourner pour proclamer un califat ne doit pas être rayé de la carte le cas de Baga illustre le degré de criminalité.