Réinventons l’humanité

Nos quotidiens, tel le fleuve Rhône enserré dans sa forteresse de béton, décrivent l’avenir des hommes d’aujourd’hui, en inquiétude d’eux-mêmes dans un monde oublieux de l’intime dialogue entre leurs singularités, leur pouvoir collectif d’exister et l’univers vivant, écrit Albert Jacquard dans son dernier livre, publié aux éditions du Sang de la Terre.

Ce monde « marchandisé » décime, déchire, désempare. Isole. Ce monde résulte de l’erreur, devenue totalitaire, d’une accumulation productrice de déchets matériels et fictifs, étouffant la vitalité de nos intelligences réunies.

« Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (article 1 du préambule de notre Constitution)… Ces mots énoncent une révolution inachevée.

Notre planète restera-t-elle un objet de profits partagé entre banquiers ? Certes non. Avant de disparaître, la Terre survivra à l’abdication des responsabilités prises par quelques-uns, non assumées par le genre humain.

L’Accord général sur le commerce des services, conçu pour l’ensemble de la planète lors de la clôture de l’Uruguay Round, instituait, en 1994, l’Organisation mondiale du commerce. Il prive chacun de tout droit social, avec la prétention d’inclure l’eau, l’air, l’éducation, la santé, la vie, dans les cours de la Bourse.

Quand l’absurdité de la finance balaie en quelques décennies l’utopie dessinée en plus de deux cents ans d’histoire, il nous appartient de réagir.

La question de l’appropriation est loin d’être simple. Chacun nourrit son extrême complexité en son jardin secret. N’oublions pas de laisser respirer ici l’infini de nos éphémères existences, pour mieux les conjuguer.

Comme toute étoile, toute planète, toute forme de vie, l’erreur ne peut qu’être provisoire ; de même que la dictature d’une norme mercantile. Ce qui nous importe n’est pas tant de préserver la vie, mais l’humanité, toujours à inventer. Au risque d’exister, nous disposons, intact, du choix d’exercer notre liberté d’être humains.

Sartre nous dit : « L’homme est condamné à inventer l’homme… » Or l’homme n’est en rien « condamné » à la pratique d’humanité.

Qu’est-ce qu’être humain ? Faire partie, si nous l’acceptons, de l’unique forme du vivant capable d’inventer l’humanité. L’humanité reste une adhésion. Un choix collectif. Un défi sans cesse relevé depuis que l’homme est homme : celui d’innover.

Une humanité sans fraternité est sans doute concevable. Durerait-elle seulement deux générations ? Une humanité pratiquant l’humanité exerce la fraternité. Là est notre spécificité. Nous ne sommes pas n’importe quelle espèce sexuée. Nous sommes, génération après génération, confrontés à la question soit de nous inventer en fraternité, soit de nous effondrer en une espèce parmi d’autres.

L’avenir de l’espèce humaine dépend de la richesse de ses échanges.

Nous ne sommes en rien des objets soumis à quelque destin, mais des passagers conscients et mortels, agissant sur cette planète. Nous sommes des dépositaires et passeurs d’expériences, de savoirs, échangeant en projections leurs questionnements, leurs ambitions, leurs idées, rêves et idéaux, leurs luttes et combats pour avancer en résonances, par nos unicités partagées.

La question n’est pas pour nous de sauver la Terre, mais de développer, en la réinventant, l’humanité sur Terre. Ce ne sera possible qu’en respectant notre planète et en nous respectant nous-mêmes, humains d’aujourd’hui, d’hier et à venir.

Ce texte est extrait de « Réinventons l’humanité », livre de Albert Jacquard et Hélène Amblard,

publié en 2013
ce texte a été mis en ligne le 18 juillet 2013

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