Le fléau silencieux des mineurs d’or

Mines d’or près de Poconé, Mato Grosso, Brésil (16°15’ S - 56°37’ O). © AFP

Il existe un lien entre tuberculose et une épidémie de silicose restée longtemps cachée dans l’Afrique du Sud rurale. Jaine Roberts appelle les entreprises qui exploitent les mines d’or à revoir leur attitude.

Dans la partie rurale de la province du Cap-oriental, en Afrique du Sud, presque la moitié des hommes atteints de tuberculose (TB)admis dans les institutions hospitalières sont d’anciens mineurs ayant travaillé dans des mines d’or. Ce chiffre ne devrait pas surprendre : dans ce pays, la prévalence de la tuberculose chez les mineurs est de 2000 cas pour 100.000, soit quatre fois plus que la moyenne nationale.

Cependant, les chercheurs s’intéressent rarement à la profession des patients lorsqu’ils étudient la répartition et les facteurs déterminants à l’origine des maladies comme la tuberculose — avec pour conséquence, dans ce cas précis, une épidémie cachée de tuberculose liée à la silicose parmi les anciens mineurs des mines d’or en Afrique du Sud.

La silicose est une infection pulmonaire grave due à l’inhalation de poussières (provoquées par l’extraction minière) contenant de la silice cristalline, un élément naturel. Les personnes silicosées sont particulièrement prédisposées à la tuberculose.

Le principe épidémiologique qui consiste à associer la tuberculose uniquement au VIH est mauvais car pendant ce temps l’épidémie de silicose — une maladie pulmonaire professionnelle pour laquelle les victimes n’ont aucune responsabilité — est niée et cachée. Cela peut aussi être perçu comme une façon de dédouaner l’industrie minière. L’histoire des mineurs mérite pourtant d’être connue.

Le lien avec l’industrie minière est évacué

Thandile Qwalela est décédé en 2009 à l’âge de 48 ans dans un pavillon pour tuberculeux dans la province du Cap-oriental. Il avait travaillé pendant 17 ans dans une mine d’or souterraine, avant d’être renvoyé après avoir contracté la tuberculose, sans être indemnisé et sans bénéficier d’aucun suivi médical pour maladie professionnelle après son départ.

Son histoire est une parfaite illustration des nombreux autres cas survenus depuis plusieurs décennies, et pour lesquels aucune solution n’existe à ce stade. La moitié des hommes internés au pavillon des tuberculeux au moment où Qwalela y a été admis pour la dernière fois étaient des mineurs migrants venus des anciens ‘bantoustans’ noirs de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. On leur a diagnostiqué la tuberculose, mais pas la silicose. Le rapport d’une étude que j’ai réalisée en 2009 fournit davantage de détails sur ces histoires tragiques. [1]

En 70 ans, aucun travail n’a jamais été mené sur la santé respiratoire des mineurs noirs. Ce n’est qu’au milieu des années 90 qu’un groupe de chercheurs spécialisé dans la santé au travail a démarré une étude intitulée Libode dans la province du Cap-oriental. [2] Dans le même temps, une deuxième étude a été menée sur d’anciens mineurs rentrés au Botswana. [3]

Ces études de surveillance des pneumoconioses (maladies respiratoires liées à l’inhalation de poussières) ont découvert des taux de prévalence de la silicose supérieurs à 30 pour cent chez les mineurs d’or au Botswana, au Lesotho et en Afrique du Sud. Le niveau réel du taux de prévalence de ces infections serait plus élevé, puisque les personnes comptabilisées dans ces études peuvent être considérées comme des hommes en meilleur état de santé ayant survécu à ces maladies.

L’épidémie actuelle de silicose en Afrique du Sud est la conséquence d’une maladie contractée sur le lieu de travail et ‘exportée’ ou ‘externalisée’ vers les zones rurales du pays.

Le système de migration pour le travail mis en place du temps de l’apartheid, où des laissez-passer étaient délivrés aux Sud-africains ou à des personnes originaires des pays voisins pour aller travailler loin de leurs bantoustans, reste profondément enracinés dans le pays.

Les hommes sortent de ces systèmes trop malades pour se réintégrer dans leurs régions d’origine, où ils dépendent de cliniques offrant des prestations de santé basiques et manquent de médecins et de services de radiologie. Cette situation perdure jusqu’à présent, longtemps après l’avènement de l’Afrique du Sud post-apartheid.

Des dizaines de milliers de mineurs sont décédés sans jamais avoir reçu, ou même été informés, de l’existence du Benefit Medical Examination (BME) [Examen médical pour les indemnisations], mis en place dans le pays, ni des autopsies auxquelles les familles ont droit dans le cadre de l’Occupational Diseases in Mines and Works Act (ODMWA) [Loi sur les maladies professionnelles dans les mines d’extraction] de 1973.

Sans examens médicaux (une radiographie thoracique et une autopsie simplifiée), il n’y a aucune indemnisation — et c’est ainsi que les sociétés minières peuvent nier l’existence de l’épidémie de silicose en Afrique du Sud.

L’industrie minière se focalise sur le VIH

Au milieu des années 1990, AngloGold Ashanti, l’une des plus grandes entreprises minières du monde, a ouvert une clinique à Lusikisiki dans la province du Cap-oriental. Cette unité était assez bien équipée et représentait une sorte de vitrine pour la fourniture des antirétroviraux (ARV) et des services de soins de santé basiques.

Cependant, alors qu’on a montré à de nombreux visiteurs comment une entreprise minière aidait activement les services publics de santé, aucune solution n’a été trouvée au problème de la silicose.

Dans la province du Cap-oriental, Lusikisiki a enregistré les chiffres les plus élevés de mineurs recrutés pour les besoins de l’industrie d’extraction aurifère. Cependant, la clinique a mis l’accent sur le VIH et la fourniture des ARV mais ne propose aucun examen médical pour la silicose.

La tâche a été confiée au Lusikisiki Community Development Programmme, une ONG aux ressources dérisoires, de transporter les mineurs vers le seul service de prise en charge de la silicose, à l’Hôpital général de Mthatha, qui n’a lui-même été ouvert que l’an dernier, à plus de 100 kilomètres de Lusikisiki.

On peut retrouver les anciens mineurs

C’est l’Employment Bureau of Africa (TEBA) qui recrute le personnel dont l’industrie minière sud-africaine a besoin. Les archives des dossiers des travailleurs existent et les travailleurs migrants peuvent être retrouvés dans leurs régions d’origine — si on en a la volonté.

Cette volonté a fait défaut à la Chambre sud-africaine des mines et à ses entreprises membres, malgré leur engagement d’être socialement responsables, à l’instar de l’AngloGold Ashanti dans son rapport annuel 2006, dans lequel elle reconnaît l’existence de la silicose dans les régions sources de main-d’œuvre minière en Afrique du Sud. [4]

Les mineurs qui tombent malades sont renvoyés, au mépris de leur droits, dans leurs régions d’origine, où les soins sont pris en charge par des services de santé ruraux financés par l’Etat et fonctionnant à la limite de leurs capacités. Il faut de toute urgence changer ces mentalités largement répandues et qui favorisent l’absence de prise de conscience d’un problème aussi grave. Il faut instaurer le principe d’une surveillance médicale permanente des maladies respiratoires liées à l’inhalation de poussières, et indemniser les malades à la hauteur du préjudice subi.

Les sociétés minières doivent se rendre à l’évidence et réparer le tort créé, malgré le temps qui s’est écoulé, en s’assurant que les anciens mineurs sont identifiés, examinés et indemnisés avant leur décès.

Depuis des décennies, le système de migration pour le travail a permis de cacher l’épidémie de la silicose. Mais les données épidémiologiques collectées au cours de ces 15 dernières années permettent dorénavant de dénoncer ce « fléau silencieux », comme l’a nommé l’historien Shula Marks.

Il est temps de révéler au grand jour l’existence de cette épidémie qui sévit dans les zones rurales d’Afrique du Sud.

Les mineurs d’or atteints de tuberculose, trop longtemps négligés

par Jaine Roberts

Jaine Roberts est directrice de recherche à l’Université Rhodes, dans la province du Cap-oriental, en Afrique du Sud. Son travail en tant que chercheuse en santé publique est axé sur les maladies liées à l’amiante et le système d’indemnisation des mineurs pour les maladies professionnelles, ainsi que l’incidence de la silicose et de la tuberculose chez les mineurs d’or.

Sci-Dev

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