Rio+20 : la faim est un problème politique

Rencontre avec Olivier De Schutter pour tirer un bilan de l’évolution de la faim dans le monde depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992.

Depuis le premier sommet de Rio, comment a évolué la situation de la faim ?

En 1992, 840 millions de personnes dans le monde n’avaient pas de quoi se nourrir dignement. Elles sont aujourd’hui environ 925 millions et vivent, pour environ 98 % d’entre elles, dans les pays en développement. Ces données doivent sans doute être mises en rapport avec la croissance démographique qui demeure vigoureuse – chaque année, la planète compte 75 millions de personnes en plus. Mais c’est encore 16 % de la population des pays en développement qui a faim en 2012, en légère baisse seulement par rapport à 20 % en 1990, et très loin du premier Objectif du millénaire pour le développement fixé en 2000. En outre, dans une région au moins – l’Afrique subsaharienne –, la proportion de personnes touchées par la faim s’accroît plutôt qu’elle ne décroît : 30 % de la population aujourd’hui n’y dispose pas d’un apport calorique suffisant.

Pourquoi, selon vous, n’a-t-on toujours pas résolu le problème de la faim ?

La faim a des causes essentiellement politiques. Dans la plupart des pays en développement, on n’a pas assez investi dans la petite agriculture familiale, dont la vocation est de nourrir les communautés locales. La pauvreté rurale s’est accrue. Par millions, des petits paysans ont migré vers les villes, alors que les secteurs de l’industrie et des services ne connaissaient un développement suffisant pour absorber cette main-d’œuvre : aujourd’hui, 1,3 milliard de personnes vivent dans des bidonvilles, à la lisière des grandes cités des pays en développement. La réponse des gouvernements, sur les conseils des institutions internationales, a été souvent d’importer des denrées alimentaires, ce qui a encore accéléré la ruine des filières locales. C’est un cercle vicieux dont il est difficile de sortir.

Comment voyez-vous les 20 prochaines années ?

Il faut une réorientation massive des efforts dans deux directions. La première est la reconstitution de systèmes agroalimentaires locaux, seule manière de sortir de la concurrence actuelle pour l’investissement et les infrastructures entre l’agroexport et l’agriculture vivrière – qui se joue au détriment des agriculteurs les plus marginalisés. La seconde est la diffusion des pratiques agroécologiques afin de délier la production agricole des énergies fossiles et de réduire l’empreinte écologique de l’agriculture. Ces transitions ne pourront se faire qu’à la condition que des améliorations soient apportées à nos mécanismes de gouvernance. Nous sommes otages d’un court-termisme qui affecte aussi bien les décisions politiques que les marchés. Il faut en sortir en privilégiant une meilleure prise en compte du long terme dans la décision politique. Nous ne pouvons nous accorder le luxe d’attendre Rio + 40 : c’est maintenant que se joue demain, car demain, il sera trop tard.

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