Les programmes de reforestation en Chine : véritable réussite ou écran de fumée ?

La Chine a entrepris d’ambitieuses démarches en matière de reforestation qui se sont traduites par une augmentation considérable de son couvert forestier ces dix dernières années. Mais les chercheurs commencent à se demander dans quelle mesure ces vastes programmes vont se révéler efficaces.

En Chine, les terribles dégâts causés par la déforestation sur l’environnement étaient déjà visibles il y a 2000 ans à l’époque où ce grand cours d’eau qu’on appelait alors simplement « Le Fleuve » a subi une transformation visible. L’effondrement des arbres tout le long de ses rives a en effet réduit à néant le système radiculaire qui tenait l’érosion en respect, provoquant le déversement de tonnes de sédiments jaunes dans ce qu’on appelle depuis « le fleuve jaune ».

Durant les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, avec une population en pleine expansion et une industrialisation tous azimuts, la Chine est devenue un épicentre de la déforestation mondiale, rasant des forêts entières aussi bien dans le but de faire pousser davantage de cultures que d’alimenter les hauts fourneaux des aciéries. Le pays semble récemment avoir décidé d’inverser cette tendance en lançant des campagnes de plantation d’arbres à grande échelle. Durant les dix premières années du nouveau millénaire, le pays a étendu chaque année son couvert forestier de 30 000 km², soit la superficie du Massachusetts, selon un rapport rédigé en 2011 par les Nations unies.

Mais les chercheurs et les associations de protection de la nature commencent à s’inquiéter de la viabilité à long terme de certains aspects importants de cette reforestation forcenée. Ce qui les préoccupe le plus est la plantation sur de vastes étendues d’espèces d’arbres non indigènes dont un grand nombre meurt, car leurs besoins en eau ne peuvent être satisfaits dans les régions arides dans lesquelles elles sont introduites. La Chine opte également pour des monocultures à perte de vue qui abritent peu de biodiversité.

Certaines associations internationales de protection de l’environnement travaillant avec des partenaires chinois ont lancé des programmes de reforestation et d’établissement de prairies à petite échelle en utilisant des espèces indigènes, mais il est encore trop tôt pour savoir si ces tentatives vont donner naissance à une ère de reforestation plus saine sur le plan écologique en Chine.

L’un des projets suivis de près par les scientifiques chinois et étrangers est un gigantesque dispositif qui doit être mis en place sur plusieurs dizaines d’années et vise à freiner la désertification ; il s’agit du plus ambitieux de tous les programmes régionaux destinés à augmenter le couvert forestier en Chine. Lancé en 1978 et prévu pour durer jusqu’en 2050, le Programme de rideaux-abris des Trois Nord, surnommé la « Grande Muraille verte », prévoit à terme la plantation de près de 36 millions d’hectares de forêt sur une bande de terre longue de 4500 km traversant le nord de la Chine.

Il pourrait s’agir du plus grand programme de restauration écologique jamais réalisé. Mais certains chercheurs qui en ont examiné les tendances à long terme laissent entendre que cette campagne de plantation à grande échelle n’entraîne pas, loin s’en faut, le miracle attendu. L’écologiste Jiang Gaoming, de l’Académie chinoise des sciences, préfère même parler de « poudre aux yeux ».

Certes, des arbres ont bien été plantés, des millions de graines ont été larguées par avion et des millions de semis, plantés manuellement. Mais dans une analyse en profondeur de ces efforts d’« afforestation » publiée l’année dernière dans Earth Science Reviews, Shixiong Cao, chercheur à l’Université sylvicole de Pékin, et cinq coauteurs affirment que les sondages sur le terrain ont montré que sur la durée, pas moins de 85 % des plantations n’avaient pas abouti.

Cette Grande Muraille verte était conçue pour inverser la tendance de dizaines d’années de désertification. En effet, plus les déserts progressaient en Chine, plus ils alimentaient de gigantesques tempêtes de poussière – les « dragons jaunes » – qui continuent aujourd’hui à vicier l’air à Pékin et jusqu’en Corée. Il s’agissait de stopper l’avancée du désert en plantant des arbres à croissance rapide, tels que les peupliers, qui créeraient rapidement un profond réseau de racines stabilisant le sol et donneraient de l’ombre grâce à la canopée. Cette nouvelle forêt pourrait même avoir des retombées économiques locales en fournissant de la fibre de bois nécessaire à la fabrication de la pulpe de papier et de matériaux de construction.

Ils avaient beau être plantés dans une région semi-aride où la steppe herbeuse avait de tout temps prévalu, les arbres semblaient être un bon choix puisqu’ils avaient la capacité de puiser l’eau à de grandes profondeurs dans le sol.

Il n’empêche, explique David Shankman, géographe à l’Université de l’Alabama et coauteur de l’étude, au bout de plusieurs années ou dizaines d’années, les arbres ont fini par faire baisser l’humidité du sol et par mourir en grand nombre, ces espèces « n’étant pas indigènes de cette région et ne tolérant pas les conditions locales ».

Du fait qu’elle a toujours évolué au même endroit, la végétation indigène a tendance, pour pousser, à trouver un équilibre avec les ressources disponibles, y compris l’eau. Et durant les premières années, les espèces d’arbres nouvellement plantées semblaient prospérer, car elles parvenaient à enfoncer leurs racines toujours plus profondément dans le sol à la recherche de l’humidité.

Mais, comme le disent les auteurs de l’étude, « Cela ne faisait que reculer l’échéance : lorsque les sols de surface s’assèchent, il s’ensuit une baisse de l’eau présente en profondeur, ce qui entraîne un affaissement de la nappe phréatique qui, à son tour, fait grimper le taux de mortalité des arbres dont les racines ne parviennent plus à atteindre l’eau ».

En d’autres termes, un cycle d’assèchement se déclenche alors et les arbres assoiffés, qui semblaient s’épanouir, meurent soudainement.

Le rapport paru dans Earth Science Reviews laisse entendre que les problèmes écologiques commencent avant que les arbres, privés d’eau, ne meurent. En effet, alors même qu’ils continuent à pousser, les arbres consomment l’eau qui, en leur absence, aurait été puisée par des arbustes et des graminées indigènes aux racines moins profondes. Parallèlement à cela, leurs branches et leur feuillage forment petit à petit une canopée si dense que l’ombre qu’elle projette gêne la photosynthèse par les petits végétaux du tapis forestier. Au fur et à mesure que ces derniers meurent, le tapis forestier est exposé à l’érosion éolienne, c’est-à-dire à ce phénomène même que les arbres étaient censés prévenir.

« Dans un article publié en septembre par la revue Nature, Jianchu Xu, maître de recherche et professeur à l’Institut de botanique de Kunming, qui dépend de l’Académie chinoise des sciences, s’est fait l’écho des inquiétudes que suscite la plantation d’espèces d’arbre Les tentatives de contrôle de la désertification et de l’érosion du sol par l’afforestation ne sont pas une grande réussite », concluent Cao et ses collègues chercheurs, précisant que selon de récentes études, cette démarche hors du commun n’a que peu contribué à lutter contre les gigantesques tempêtes de poussière jaune qui s’abattent sur la Chine.s non adaptées aux environnement arides chinois, soulignant que les graminées pérennes indigènes « avec leur vaste système radiculaire seraient plus à même de protéger la couche arable ».

Il a également précisé que la plantation de ce type de forêt peut être motivée par des considérations commerciales. Les monocultures qui réussissent à pousser peuvent avoir des retombées économiques à travers le bois de sciage, les fibres destinées à l’industrie de la pâte et du papier, le caoutchouc, et même la nourriture sous forme de fruits. Mais, ajoute Xu, « Elles abritent peu de biodiversité et procurent peu ou pas d’habitat aux nombreuses espèces d’arbres menacées du pays. Les peuplements artificiels génèrent moins de litière feuillue et d’intrants naturels que les forêts indigènes si bien que la faune et la flore du sol dépérissent… Certes, l’afforestation dans les régions qui connaissent un stress hydrique peut agir en tant que brise-vent et les peuplements stockent une certaine quantité de carbone, mais ces avantages n’interviennent qu’au prix d’autres fonctions économiques précieuses ».

Quelle pourrait donc être la solution ? Le « tout indigène ». Au-delà de la protection des écosystèmes indigènes résiduels, certains scientifiques affirment en effet que le simple fait d’empêcher de nouveaux abus sur des écosystèmes dégradés peut permettre à ces derniers de se rétablir.

Jiang Gaoming a demandé à ce que l’on « nourrisse la terre par la terre ». Dans une région de Mongolie-Intérieure appelée « les terres sableuses de Hunshandake », son équipe de chercheurs a montré que les prairies indigènes se rétablissent d’elles-mêmes en deux petites années lorsqu’on installe des clôtures qui empêchent le bétail de paître et préviennent toute incursion humaine.

Un autre programme en cours dans une région du sud-ouest de la Chine, fruit d’un partenariat entre Conservation International et le Centre chinois pour la nature et la société, pourrait offrir un meilleur exemple encore. Dans un périmètre de 260 000 km² renfermant des écosystèmes aussi variés que des forêts de conifères et de feuillus, des prairies, des zones humides et des bambouseraies, ce programme a d’ores et déjà permis de restaurer plus de 4800 hectares à l’aide d’espèces indigènes.

L’Administration chinoise des forêts pourrait bien avoir amorcé un tournant prometteur en indiquant voir bien reçu ce message. L’agence numéro un de gestion des forêts du pays a en effet commencé à participer à des programme destinés tout particulièrement à restaurer les espèces indigènes. Elle travaille avec la Climate Community and Biodiversity Alliance (CCBA) qui compte parmi ses membres Conservation International, Nature Conservancy et la Rainforest Alliance.

L’un des premiers programmes proposés projette de reforester plus de 4000 hectares d’anciens terrains forestiers hautement dégradés dans cinq comtés de la province du Sichuan, une région montagneuse située en amont du Yangzi Jiang et du Dadu He. L’ensemble de la zone est qualifié par les agences environnementales chinoises de « point chaud de la biodiversité » qui comprend, là où l’habitat est encore intact, celui du panda géant.

Conformément aux nouvelles normes établies par la CCBA, le programme aura essentiellement recours à des espèces indigènes dont le pin d’Armand, Cryptomeria fortunei et des variétés locales de sapins, épicéas, peupliers et aulnes. Non seulement ce projet devrait permettre de séquestrer 41 000 tonnes de gaz à effet de serre chaque année, mais il devrait aussi créer un million d’hommes-heures de travail en plantations et éclaircissements et, une fois que les forêts se seront développées, en exploitation sélective du bois local.

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