Une agriculture plus intensive sauvera-t-elle les forêts tropicales ?

L’intensification de l’agriculture ne sera jamais le sujet dont tout le monde parle, mais l’idée est assez en vogue en ce moment. La semaine dernière, une importante étude dirigée par le scientifique numéro un du gouvernement britannique, John Beddington, démontrait ainsi que le seul moyen de nourrir la planète était de produire davantage à partir de la même surface de terres.

Certains disent que la question n’est pas là : notre production vivrière est d’ores et déjà suffisante pour nourrir 10 milliards d’individus pour peu que l’on réduise notre gaspillage. Mais il existe une autre cause qui plaide en faveur de l’intensification de l’agriculture : la sauvegarde des forêts tropicales. Lors de la conférence sur le climat de décembre dernier, à Cancún, de nombreux délégués ont demandé que des investissements en faveur de l’agriculture soient inclus dans REDD, une initiative destinée à apporter des fonds aux pays des régions tropicales pour qu’ils préservent leurs forêts et le carbone qu’elles emmagasinent.

L’argumentation est la suivante : plus la demande de nourriture augmente, plus les agriculteurs risquent d’abattre un nombre important d’arbres, eux qui sont déjà les plus gros destructeurs de forêts. Donc pour empêcher les destructions à venir, il faut de toute urgence intensifier l’agriculture. C’est ce qu’a fait remarquer à Cancún Nicholas Stern, grand gourou de l’économie du climat : « Les pâturages au Brésil ne représentent qu’un animal par hectare. Il suffit donc qu’on passe à deux animaux et la forêt amazonienne est sauvée. » C’est exactement sur ce raisonnement que s’appuie le gouvernement brésilien dans sa stratégie actuelle. Et la Banque mondiale, qui va gérer le fonds REDD, a tenu le même genre de discours.

L’idée selon laquelle l’intensification de l’agriculture soulage la pression sur les terres vient de ce que l’on appelle l’hypothèse de Borlaug, du nom de celui à qui on la doit, Norman Borlaug, pionnier de la révolution verte. Mais avant d’aller plus loin, mieux vaut en vérifier la véracité.

L’argument qui s’oppose à cette hypothèse consiste à dire que les agriculteurs ne détruisent pas les forêts pour nourrir le monde, mais pour gagner plus d’argent. Donc le fait de les aider, et tout particulièrement d’aider ceux qui vivent à proximité de forêts, à devenir plus efficients et plus productifs n’éloignera pas la menace, bien au contraire.

Tony Simons, directeur adjoint du World Agroforestry Centre à Nairobi, a exprimé ce point de vue en ces termes à Cancún : « Borlaug croyait qu’en luttant contre la pauvreté en bordure des forêts, les habitants arrêteraient d’aller couper du bois à coups de machette. Mais du coup, ils reçoivent assez d’argent pour s’acheter une tronçonneuse et font beaucoup plus de dégâts. »

Une récente étude semble corroborer cette opinion. Thomas Rudel, de l’Université Rutgers, à New Brunswick dans le New Jersey, a comparé les tendances en matière de rendement agricole national à la quantité de terres mises en culture depuis 1990. Si l’hypothèse de Borlaug se vérifiait, il faudrait donc que là où les rendements croissent le plus vite, la surface cultivée augmente le moins. Voire qu’elle diminue.

Raté. Dans la plupart des cas, rendements et surfaces cultivées augmentent de concert. Suite à cette conclusion, Thomas Rudel a évoqué le paradoxe de Jevons, du nom de William Jevons, économiste du 19e siècle qui a découvert que lorsqu’on accroît l’efficience de la combustion de charbon, on ne brûle pas moins, mais plus de ce combustible.

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas besoin d’une certaine intensification de l’agriculture, car il faut bien nourrir le monde. Mais cela ne protégera pas nécessairement les forêts. Et tout dispositif de lutte contre le changement climatique qui part du principe contraire risque bel et bien de se retrouver à jeter de l’argent par les fenêtres.

Une agriculture plus intensive sauvera-t-elle les forêts tropicales ?

Par Fred Peacre (par ailleurs auteur de Les tribulations d’un consommateur ordinaire qui se prenait pour un écolo exemplaire dansla collection GOODPLANET aux éditions La Martinière

New Scientist magazine, n° 2798, 9 février 2011,

© New Scientist, Reed Business Information

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