Walmart et la grande distribution vers la transparence écologique ?

Les efforts entrepris par Wal-Mart pour mettre au point un indice de durabilité de ses produits pourraient marquer un tournant dans les tentatives qui sont faites pour mieux informer les consommateurs de l’impact environnemental de ce qu’ils achètent.

Il y a deux mois, Wal-Mart a fait une annonce qui pourrait bien provoquer un séisme écologique : le géant de la grande distribution a en effet révélé qu’il travaillait en collaboration avec un groupement universitaire pour mettre au point un indice de durabilité de ses centaines de milliers de produits.

Quelques semaines après cette annonce, la Harvard Business Review déclarait en couverture que la durabilité était devenue la clé d’une stratégie commerciale réussie. L’article, coécrit par l’expert ès stratégie de l’université du Michigan, C.K. Prahalad, affirmait que le prochain modèle entrepreneurial serait vert, et propulsait l’innovation écologique au rang de futur moteur de la croissance économique.

Wal-Mart vient de fournir aux défenseurs de l’environnement un nouvel outil pour diminuer l’empreinte écologique des hommes : en utilisant une nouvelle génération de systèmes informatiques, on devrait en effet pourvoir faire pression sur les secteurs du commerce et de l’industrie pour qu’il améliorent la performance écologique de leurs produits. La stratégie consiste à récolter des données relatives à l’analyse du cycle de vie pour la bonne transparence des produits. Ceux-ci se voient attribuer une note en toute indépendance, ce qui facilite la prise en compte, par les consommateurs, de l’impact écologique des produits quand ils font leurs courses.

En faisant cela, Wal-Mart impose à tout un secteur une idée qui paraissait autrefois saugrenue et que les entreprises vont devoir intégrer. Non pas simplement dans leurs plans stratégiques à venir, mais bien dans leur logistique et leurs opérations actuelles. En effet, les fournisseurs du groupe, qui sont plus de 100 000 (et encore, en considérant des sociétés telles que Procter & Gamble comme un seul fournisseur), devront dévoiler l’impact écologique de leurs produits sous peine de les voir disparaître des enseignes du groupe partout dans le monde.

« Il y a un an, j’en étais simplement à évoquer le concept d’analyse du cycle de vie avec des gens de chez Wal-Mart », déclare Gregory Norris, un écologiste industriel qui enseigne à l’université de l’Arkansas et à la Harvard School of Public Health. « Aujourd’hui, ils se servent de ces outils pour analyser le cycle de vie de leurs propres produits. Ils sont passés de la théorie à la pratique. »

Gregory Norris est responsable du développement de Earthster, un système informatique libre conçu pour évaluer le cycle de vie d’un produit relativement aux normes industrielles et pour aider fournisseurs et acheteurs en gros à déceler les améliorations écologiques qui feront que tel produit obtiendra une meilleure note. Pour lui, qui est membre du Sustainability Consortium, c’est-à-dire du groupement universitaire avec lequel travaille Wal-Mart, Earthster devrait à terme être capable d’établir des moyennes industrielles pour un produit donné, ce qui permettrait aux fabricants de savoir où procéder à des mises à niveau. Cela aiderait également les entreprises à trouver des fournisseurs pouvant proposer des améliorations sur un impact écologique précis.

Un projet pilote est actuellement en cours avec Earthster et porte sur sept produits de Wal-Mart. Le système doit être extensible pour qu’un jour, tous les produits des rayons du groupe aient une note de durabilité, à commencer par les 3500 marques du distributeur. « Nous nous attendons à ce que cette pratique se répande très largement d’ici l’année prochaine », affirme Gregory Norris. « Vu l’influence de Wal-Mart, les autres grosses sociétés commencent elles aussi à étudier la question. »

Il y aurait environ 20 % des usines chinoises qui figureraient quelque part dans la chaîne d’approvisionnement des fournisseurs de Wal-Mart. Commentaire de Gregory Norris : « Si nous arrivons à toucher la chaîne d’approvisionnement de Wal-Mart, cela va prendre des proportions mondiales. »

L’indice se présentera sous la forme d’une étiquette portant une note de durabilité que les distributeurs feront figurer à côté du prix. Cette note s’exprimera par un chiffre ou un symbole. Le Sustainability Consortium, qui développe l’indice au sein de l’université de l’Etat d’Arizona et de l’université de l’Arkansas, voit ce système comme une nouvelle norme industrielle que bien d’autres distributeurs au-delà de Wal-Mart vont adopter, et dont sociétés et acheteurs au sein des organisations se serviront dans leurs affaires interentreprises.

Il existe un prototype d’indice de durabilité qui fonctionne déjà et qui a été lancé en début d’année : il est consultable sur le site GoodGuide.com. Il compile plus de 200 bases de données qui vont de l’évaluation de la contribution des entreprises au réchauffement climatique, réalisée par ClimateCounts, aux listes de produits chimiques toxiques rédigées par le gouvernement. La note est comprise entre 1 et 10.

Une note globale présente une certain avantage. Supposons que vous désiriez acheter un produit en bois certifié FSC, mais que vous vouliez en savoir davantage sur les substances chimiques liées à la fabrication de ce produit, sur la façon dont les employés ont été traités et sur son empreinte écologique. Eh bien GoodGuide, mis au point par une équipe dirigée par l’écologiste industriel Dara O’Rourke, de l’université de Berkeley, en Californie, vous fournit toutes ces informations et bien plus encore. Cela prend soit la forme d’une note récapitulative comprise entre 1 et 10, soit la forme de trois notes différentes portant sur l’environnement, la santé et le social. Et si vous voulez en savoir davantage encore, le site vous explique tout sur la façon dont la note a été déterminée. GoodGuide évalue aujourd’hui environ 70000 produits, mais bien d’autres vont suivre.

Selon Dara O’Rourke, GoodGuide.com a enregistré plus de deux millions de visiteurs depuis son lancement en octobre 2008. Et d’après un sondage présenté en septembre à l’occasion de la réunion de la Grocery Manufacturers Association, même en période de récession économique, les deux tiers des consommateurs affirment accorder aujourd’hui plus d’importance à l’achat de produits bons pour la santé et l’environnement.

Dara O’Rourke a été convié à plusieurs réunions avec les milieux d’affaires et les milieux industriels pour expliquer ce nouveau système de transparence écologique. Il raconte : « Le message que je leur fais passer est le suivant : c’est en plein essor. Le fait que Wal-Mart se soit investi là-dedans est la meilleure preuve que cela va devenir incontournable. Ces deux derniers mois, nous avons enregistré un nombre croissant de demandes de la part de grands distributeurs pour que nous notions leurs produits et tout particulièrement les marques maison » qui, comme chacun sait, ont une marge bénéficiaire deux fois plus élevée que les autres.

Ce type d’éco-notation est symptomatique de l’importance grandissante accordée à la transparence. Le point d’orgue pourrait se traduire par une concurrence entre produits relative non seulement à leur prix et à leur qualité, mais aussi à leur impact écologique tel qu’évalué par l’analyse de leur cycle de vie. Cet impact écologique pourrait finir par être totalement intégré dans l’évaluation de la valeur des produits.

Le fait le plus surprenant est sans doute le revirement des entreprises qui se préoccupent aujourd’hui de révéler en toute transparence l’impact écologique de leurs produits (enfin, de certaines d’entre elles, car le scepticisme est encore très répandu quand ce n’est pas une véritable peur). « Wal-Mart était considéré comme le distributeur le plus secret », raconte Dara O’Rourke, « alors qu’à présent, il affirme que le seul moyen d’avancer est de pratiquer la transparence. »

Historiquement, l’information a toujours été très inégalement répartie, les consommateurs ne sachant rien ou presque de l’impact écologique précis des produits qu’ils achètent. Grâce à la transparence écologique, les acheteurs disposent désormais de données jusqu’ici tenues secrètes. Les systèmes informatiques qui encouragent cette transparence écologique vont donc entraîner un certain bouleversement et modifier les règles du jeu sur les marchés et parmi les militants de toutes sortes, qu’ils se préoccupent d’environnement, de santé publique ou de social.

Scénario possible : au fur et à mesure que le coût de la compilation et de l’évaluation des informations auparavant inaccessibles va se rapprocher de zéro, les notes attribuées vont influencer un grand nombre de consommateurs, mais aussi d’acheteurs interentreprises et institutionnels. Les produits écologiquement supérieurs obtiendront alors davantage de parts de marché et les marques les plus performantes sur les plans écologique, financier et qualitatif sortiront vainqueurs.

Cela pourrait alors donner naissance à un cercle vertueux dans lequel la présence d’informations décisives sur le lieu d’achat obligerait les entreprises à améliorer l’impact de leurs pratiques entrepreneuriales au sein d’un processus continu de mise à niveau. Et cette modification des règles du jeu permettrait de trancher l’éternel débat entre entreprises sur la durabilité, certaines plaidant pour une responsabilité sociale tandis que d’autres rétorquent qu’il n’y a aucun argument qui justifie un quelconque changement. Car bien qu’il y ait des entreprises exceptionnelles et progressistes, la plupart d’entre elles ne se sont préoccupées de durabilité que dans la mesure où celle-ci avait une répercussion immédiate sur leur résultat financier : en faisant par exemple des économies grâce à une meilleure efficacité énergétique.

Le véritable changement se produira en fait lorsque les dirigeants verront que leur chiffre d’affaires bénéficie d’une augmentation des ventes de produits écologiques. Une stratégie intelligente consisterait alors à effectuer des mises à niveau constantes : les entreprises analyseraient activement le cycle de vie de leurs produits et chercheraient à s’améliorer au niveau fournisseurs ou sources (ou encore au niveau d’un produit chimique ou autres, d’une plateforme industrielle ou d’un processus de fabrication) pour que leurs produits obtiennent de meilleures notes d’impact écologique.

Tout ceci devrait doper la demande d’innovations sur toute la chaîne des impacts écologiques, qu’ils soient liés à l’industrie, aux transports ou à la vente. Andy Ruben, ancien responsable de l’initiative durabilité chez Wal-Mart et aujourd’hui directeur de la division des marques du distributeur, a qualifié cette inventivité entrepreneuriale de « plus grande chance de ces 50 prochaines années ». Une chance qui pourrait permettre à la croissance actuelle de l’énergie verte d’aller bien au-delà de ce que lui permettent les financements prévus par la loi de stimulation économique.

Pour les groupes de défense de l’environnement, ces bouleversements peuvent créer des alliances entre des organisations autrefois ennemies à travers un programme commun. Ainsi, Nature Conservancy a d’ores et déjà pris contact avec une compagnie pétrolière internationale pour étudier comment gérer une gigantesque holding dans le Wyoming sans que des écosystèmes essentiels en pâtissent. Chez Coca-Cola, ils ont quant à eux fait appel aux compétence du World Wildlife Fund pour mieux comprendre leur empreinte sur l’eau et diminuer leur impact. Toutes ces alliances, qui voient des universitaires et des ONG faire profiter des entreprises commerciales de leur expertise afin de faire baisser leur impact écologique, prendront encore plus de sens dans un avenir où transparence sera le maître mot.

Les écologistes industriels, qui prônent des approches durables intégrant des facteurs environnementaux, techniques et sociaux, pourraient bien soudain se retrouver en première ligne lorsque, grâce à la transparence écologique, les entreprises auront compris l’importance de l’écologie industrielle et des services qu’elle offre. Et au fur et à mesure que cette discipline proposera des analyses de cycle de vie moins chères et qui ne sont pas la propriété d’une marque pour en mettre en libre accès au service d’un cercle vertueux, le secteur gagnera sans doute en notoriété et attirera quantité de personnes talentueuses à qui il offre un moyen de travailler tout en restant fidèle à ses valeurs.

Seul l’avenir dira si des outils comme l’Indice de Durabilité ou GoodGuide ont assez de succès auprès des consommateurs et des gros acheteurs pour marquer un véritable tournant. Les dirigeants de Wal-Mart soulignent de leur côté les résultats d’une étude montrant que les jeunes, c’est-à-dire ceux qui sont nés dans les années 80 et après, sont bien plus déterminés que les générations précédentes à protéger la planète à travers leurs achats. Et un nombre toujours plus grands d’acheteurs institutionnels sont mandatés pour effectuer des achats écologiques, si bien que ces systèmes de notation pourraient très bien être utilisés pour y regarder de plus près chez les fournisseurs.

Mais ces outils informatiques peuvent-ils suffisamment éveiller la conscience écologique des acheteurs pour créer un mouvement de masse sur le marché ? J’étais journaliste scientifique au New York Times lorsqu’Internet a été lancé, et si quelqu’un avait dit à l’époque que ce nouvel outil allait menacer l’existence même du papier, personne ne l’aurait cru. Affaire à suivre.

Un commentaire

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    • jerry jones

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