La déforestation au coeur des négociations climat-énergie

Quel bilan pour les négociations sur le climat de décembre 2008 ? Sur fond de polémiques, Olivier Bouyer, de la délégation du gouvernement français, a été interviewé par l’équipe d’Action Carbone (GoodPlanet). Il compare les négociations de Bruxelles et celles de Poznan.

GP.info : Plusieurs ONG françaises et internationales ont décrié l’accord de l’UE, allant jusqu’à parler de “journée noire pour l’Europe” (RAC-F, WWF, Amis de la Terre, Greenpeace) : objectifs de réduction ambigus, pas de système de sanction efficace. Le Paquet énergie-climat, on doit s’en réjouir ou pas ?

Olivier Bouyer : Bien sûr ! L’UE est le seul groupe de pays au monde à non seulement prendre des objectifs quantifiés à moyen-terme de réduction de ses émissions, mais également à se doter d’outils précis pour y arriver. Cela étant dit, pouvait on attendre un Paquet plus ambitieux ?

Sûrement…Sur les –20% de réductions d’émissions, l’effort propre de l’UE (= sans recours aux crédits carbone des mécanismes de projet, ce qui est permis par les directives Marché du carbone et Partage de l’effort) est de -11,8% de réduction d’émissions en 2020 par rapport à 1990.

Sachant qu’en 2005 l’UE a déjà fait –6% de réduction, il ne lui reste plus que -5,8% à faire d’ici 2020. En d’autres termes, plus de la moitié de l’effort que nous fixe le Paquet pour 2020 a déjà été accompli …Mais gardons à l’esprit que le Paquet sera revu en cas d’accord international post 2012, auquel cas l’UE durcira l’objectif : -30% d’émissions d’ici 2020 (contre -20% dans l’état actuel).

Concernant la forêt, la directive Energie renouvelable devrait offrir de belles perspectives pour le développement de la biomasse, notamment le bois énergie et les carburants ligno-cellulosiques de 2ème génération. Par contre, on peut déplorer le fait que les directives Marché du carbone et Partage des efforts ne mettent pas, loin s’en faut, les puits de carbone et la déforestation évitée au centre du débat : l’utilisation des crédits issus de projets dans ces secteurs est conditionnée à un accord international et au passage de –20% à –30%. Point positif, les objectifs individuels des Etats membres seront ré-évalués pour intégrer les règles de traitement des puits, en cas d’accord international ou non, ce qui est gage de la comparabilité des efforts entre Etats.

GP.info : En parallèle des négociations de l’UE se déroulait la Conférence de Poznan. La confusion générée par ce calendrier n’a-t-elle pas perturbé les négociateurs internationaux ?

O.B. : Non, les deux enceintes étaient bien circonscrites.

Le paquet énergie climat était discuté au niveau européen, à Bruxelles, entre trois institutions : la Commission européenne (notre « administration européenne »), le Parlement européen et le Conseil européen réunissant les chefs d’Etat des 27 Etats membres (présidé par la France au 2ème semestre 2008). Ces deux dernières, Parlement et Conseil, étant les « co-décideuses » du paquet.

A Poznan avaient lieu des négociations internationales, grand bain où l’UE et ses 27 Etats membres discutent avec la terre entière, sur des sujets beaucoup plus vastes que ceux touchés par le Paquet énergie climat : vision partagée sur le futur régime climatique post-2012, réduction des émissions de gaz à effet de serre (principal focus du Paquet énergie climat), mais aussi adaptation aux effets du changement climatique, transfert de technologies propres et financement de toutes ces activités.

Les négociations européennes sur le Paquet énergie climat, en parallèle des négociations internationales de Poznan, ont sûrement eu un effet bénéfique sur ces négociations internationales. L’UE a démontré qu’elle passait du discours aux actes et que l’urgence du problème l’amenait à mener deux négociations de front (malgré les difficultés que cela a causé pour la présidence française du Conseil de l’Union européenne !).

GP.info : Finalement, à Poznan, les pays sont arrivés à une feuille de route, qui paraît un peu faible avant Copenhague en décembre 2009. Quelles ont été les avancées et les points de blocage de cette conférence ? Qui a bloqué ? Pourquoi ?

O.B. : Il faut reconnaître qu’il y a eu assez peu d’avancées à Poznan… Les Etats du monde sont sur un même quai de gare, espérant monter dans le train du régime post-2012 pour échapper au déluge climatique qui avance rapidement et sûrement…Mais beaucoup de ces Etats souhaiteraient ne pas avoir à payer leur place et voyager clandestinement ! C’est cet habituel jeu du rejet de responsabilité qui mine la prise de décision rapide sur une vision partagée et les règles/engagements qui en découlent. L’UE a fait son maximum pour faire bouger les choses. Malheureusement, les tensions habituelles entre pays en développement émergents, qui axent leur discours sur la nécessité d’actions préalables de la part des pays développés, et certains pays du groupe de l’ombrelle (notamment USA, Canada, Japon, Australie) qui cherchent à minimiser leurs efforts, ont enlisé les discussions.

GP.info : En tant qu’expert des sujets relatifs à la forêt, quid des avancées relatives sur le mécanisme « Réduction des émissions dues à la déforestation et la dégradation » (REDD) ?

O.B. : Le REDD est un mécanisme qui permet de prendre en compte le rôle de la forêt dans la régulation du climat et à encourager la lutte contre la déforestation. Mais il demande la mise en place de mesures de contrôle assez complexes afin de prendre en compte la diversité des situations, « les trajectoires forestières », mais aussi d’établir les scénarios de référence pour évaluer les progrès réellement accomplis.

En 2008, les ateliers et phases de négociations sur ce sujet se sont intensifiés. C’est l’un des seuls sujets en négociation où de forts consensus se sont créés depuis 2 ans. Poznan devait cristalliser les avancées réelles sur les questions méthodologiques liées au sujet, utiles pour bâtir l’accord final de Copenhague.

Après des discussions difficiles et de nombreux blocages techniques provenant des États-Unis, de l’Inde et du Brésil, les discussions se sont accélérées sur la fin, mais pas suffisamment pour permettre d’aboutir à une décision de la Conférence des Parties. Le résultat final est donc une conclusion de l’organe subsidiaire scientifique et technique, ce qui en fait un texte moins symbolique politiquement, mais néanmoins très utile pour bâtir une décision sur le sujet à Copenhague.

Parmi les avancées, notons que les peuples indigènes seront désormais impliqués dans les ateliers d’experts et dans la mise en œuvre des actions pilotes de terrain. Et cela, malgré les oppositions de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis (les 4 pays développés qui n’ont pas voté la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples indigènes).

Ensuite, les pays en développement doivent mettre en place des inventaires forestiers transparents, robustes et ouverts à des revues indépendantes et externes : La crédibilité du système sera obtenue à ce prix. Pour l’instant, seuls l’Inde et le Brésil ont des inventaires forestiers dignes de ce nom. Ce dernier, traditionnellement opposé à toute forme d’atteinte à sa souveraineté nationale, notamment sur la forêt amazonienne, a franchi là un pas historique.

GP.info : Maintenant, on se tourne vers la conférence de Copenhague. Sincèrement, peut-on encore attendre un accord à la mesure de la menace du changement climatique ?

O.B. : Sincèrement, je n’en sais rien ! Ce ne sont pas les « experts techniques » comme moi qui peuvent le deviner. Après la sortie du rapport Stern en 2006 sur le coût de l’inaction face au changement climatique, le rapport 4 du GIEC en 2007 sur les scénario d’évolution du climat et les moyens à mettre en œuvre pour éviter la catastrophe, le film à succès d’Al Gore, Une vérité qui dérange la même année, et j’en oublie, on pouvait penser que la sphère politique allait réagir et s’approprier ce sujet. Il reste encore beaucoup à faire pour que les négociations quittent les mains des experts et puissent être pilotées avec succès par les leaders politiques….Condition sine qua non d’un succès à Copenhague. Mais, le pire n’est pas toujours certain : un an avant Copenhague, la rapidité et l’ampleur de la réaction des mêmes politiques à la crise bancaire mondiale sont là pour le démontrer.

Interview d’Olivier Bouyer réalisée par Jeremy Debreu, décembre 2008.

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