La situation catastrophique à Dounreay se fait jour: un argument de poids en faveur de la transparence

L’endroit est aussi perdu et retiré qu’on peut l’être sur la principale île du Royaume-Uni. Du point de vue de nos responsables politiques, ce n’est pas plus mal. Si la comédie à l’anglaise qui se joue sur le site nucléaire de Dounreay, sur la côte nord de l’Écosse, obtenait la moindre notoriété public, ils ne pourraient plus se déplacer sans être traqués et vilipendés. Un rapport paru cette semaine dans le Sunday Times suggère que les entreprises chargées de nettoyer le site ont en fait rendu les armes (1). Dounreay – et ses alentours – ne peut pas être complètement décontaminé. La pollution nucléaire en provenance du site durera tant que les métaux fissiles resteront radioactifs.

Sans doute ne devrait-on pas s’étonner de découvrir que, lorsque le réacteur expérimental de Dounreay a été mis en service, on ne s’est nullement demandé comment il serait démantelé. En 1954, le secteur du nucléaire est soustrait au droit de regard du public sous couvert de secret défense (Official secret act) et se comporte comme s’il opérait sur une planète déserte. La guerre froide et la perspective d’une électricité « trop économique pour être mesurée » semblent justifier la réduction systématique des dépenses.

Il n’y a rien d’étonnant non plus à ce que les derniers merdouillages en date de la centrale n’aient rien d’exceptionnel. Le mois dernier par exemple, Dounreay a été condamné à une amende de 2 millions de livres pour avoir laissé échapper des déchets radioactifs (2). L’année dernière, ses régulateurs ont rapporté qu’il y avait eu 250 défaillances des systèmes de sûreté depuis 1999 (3). La centrale a par exemple généreusement offert à la communauté des fûts ayant contenu des déchets à faible teneur radioactive. Il était prévu qu’ils soient convertis en grotte de père Noël pour les enfants de la région (4). Un autre rapport montre que des déchets fissiles ont été stockés dans des pots de peinture ou tout simplement laissés sur place tels quels (5). Un ex-employé affirme que des échantillons étaient prélevés pour analyse dans les cuves d’effluents radioactifs à l’aide d’une botte Wellington sur un bout de ficelle, parce que le matériel adéquat avait rouillé (6).

D’autres sites nucléaires au Royaume-Uni ont connu des incidents de ce genre. Mais Dounreay présente deux caractéristiques qui distinguent les méfaits de cette centrale de la liste habituelle de risques et périls.

Avant que le réacteur de Dounreay ne soit terminé, l’exploitant – la UK Atomic Energy Authority (UKAEA) – fore un tunnel sous le fond de la mer destiné à évacuer ses effluents liquides. Pour écouler les déblais, l’UKAEA creuse un puits de 60 m de profondeur à quelques mètres du bord des falaises. Bien que ce trou ne soit pas scellé, que l’eau douce puisse y circuler et que l’érosion de la côte risque de le précipiter dans la mer d’ici une centaine d’années (7), le gouvernement britannique autorise l’UKAEA en 1959 à y déverser des matériaux radioactifs.

En 1977, une explosion a lieu dans le puits, faisant sauter la chape qui le ferme et projetant des particules brûlantes. On ne peut pas, à proprement parler, dire que l’affaire est étouffée. Lorsque la presse a vent de l’accident, l’UKAEA produit un communiqué sous le titre “Incident mineur sur un site de traitement des déchets”(8). Le mot “explosion” n’y apparaît pas.

Ce n’est qu’en 1995 que toute l’affaire éclate au grand jour. Le puits a servi de décharge pour à peu près tout, depuis les gants en caoutchouc jusqu’aux déchets fissiles. Il n’est pas difficile d’imaginer à quoi est due la vilaine explosion: du sodium et d’autres produits chimiques réactifs ont été déversés avec les éléments radioactifs.

Certaines estimations suggèrent qu’on y aurait déchargé environ 2.2 kg de plutonium et 81 kg d’uranium-235 (9). Mais les contrôles étaient irréguliers: on n’a pas enregistré toutes les opérations et certains registres ont plus tard disparu. En 1998, le Guardian découvre qu’un deuxième puits a été creusé et sert toujours, bien que les inspecteurs du gouvernement aient exigé qu’il soit fermé (10). Ce deuxième puits est légèrement moins dangereux grâce à un cuvelage de ciment. Mais il est rempli d’un mélange similaire de matériaux fissiles et d’ingrédients chimiques réactifs, qu’on aurait dû séparer. Plusieurs feux souterrains se sont déjà déclarés (11).

Bien que le premier puits n’ait plus servi depuis l’explosion de 1977, l’UKAEA n’a commencé à le sceller que la semaine dernière (12). Il lui faut maintenant construire des robots qui puissent commencer à en évacuer le contenu. Les opérations d’isolation et de déblaiement coûteront au moins 180 millions de livres et ne s’achèveront qu’en 2025 (13). Et pourtant, c’est là le moindre des problèmes à Dounreay.

J’ai mentionné que l’excavation du puits était liée à celle d’un tunnel évacuant les effluents nucléaires vers la mer. En théorie, seuls les liquides drainés à la surface des cuves de décantation devaient s’écouler dans le tunnel. Mais les déchets ne décantant pas comme il faut (14), des centaines de milliers d’éclats de combustible accompagnent les liquides. Le fond marin au nord de Dounreay est donc recouvert de particules radioactives sur des centaines de kilomètres carrés.

Le public ne sait rien de tout cela jusqu’en 1997, date à laquelle deux fragments de matériaux fissiles sont retrouvés sur la plage de Sandside à 3 km du site. Sandside accueille des milliers de visiteurs tous les ans. On y a détecté jusqu’à présent 68 fragments, mais le propriétaire de l’endroit – Geoffrey Minter – affirme que cela ne représente qu’une petite partie de la contamination, puisque les robots de l’UKAEA ne ratissent la plage qu’une fois par mois et seulement sur une profondeur d’environ 10 centimètres (15).

En 2003, un tribunal écossais conclut que l’UKAEA a manqué à son devoir de protection de la population locale en rejetant ces particules dans l’environnement(16). Mr Minter soutient cependant qu’après la décision de la cour, la détection et l’enlèvement des particules sont restés inadéquats. Selon lui, c’est « un exercice d’échantillonnage“ camouflé derrière une opération de relations publiques destinée à faire croire aux gens que l’UKAEA a pris en charge les dangers sousjacents.”(17) L’UKAEA certifie se conformer à la réglementation de la Scottish Environment Protection Agency (agence écossaise pour la protection de l’environnement) (18).

Que faire pour empêcher les particules de s’échouer sur le rivage? Il semblerait que la réponse soit: rien. Un groupe d’experts (Dounreay Particles Advisory Group) vient de transmettre un rapport à l’agence pour l’environnement, suggérant, d’après le Sunday Times, que la meilleure façon de récupérer les éclats au fond de la mer, c’est d’envoyer des plongeurs (19). C’est un conseil dicté par le désespoir. Sur les centaines de milliers d’éclats qui, croit-on, gisent sur ou dans le fond marin, seulement 900 ont été remontés par les plongeurs de l’UKAEA depuis 1983 (20). Selon cette dernière, une décontamination complète à l’aide de dragueurs coûterait quelque 70 milliards de livres (21), ce qui revient à dire que c’est infaisable.

Que conclure de cette affaire? L’inventaire des bourdes perpétrées à Dounreay ne constitue pas nécessairement une mise en accusation de toutes les installations nucléaires. Les centrales que l’on construit de nos jours ne se tireraient pas à bon compte de ce genre de pratiques. Cependant, cela démontre que, lorsque quelque chose dérape, il est terriblement difficile de redresser la barre. C’est également représentatif de la tentation constante de faire des économies, puisque le traitement adéquat des déchets est difficile et cher.

Cela fournit un argument de poid en faveur du principe de précaution, tant décrié, qui consiste à considérer que ceux qui ont l’intention de faire quelque chose de potentiellement dangereux devraient d’abord démontrer qu’ils le feront sans que cela comporte de risque important pour les citoyens. Mais surtout, cela plaide en faveur de la transparence. Rien de tout cela n’aurait eu lieu si les opérations à Dounreay avaient été soumises à un examen public. Nous devons ce désastre, comme celui en cours en Iraq, au fait que le gouvernement se sert du prétexte de la “sécurité” pour cacher la vérité au public.

Notes:

1. Mark Macaskill, Divers risk death to clear atomic beach, The Sunday Times, 10 septembre 2006.

2. Mark Milner, Nuclear operators fined £2m each for radioactive spillages, The Guardian, 11 août 2006.

3. Rob Edwards, Revealed: the safety ‘failures’ at Dounreay, The Sunday Herald, 15 mai 2005.

4. ibid.

5. David Ross, Dounreay damned in report of defects, The Herald, 16 juin 1998.

6. Kenny Farquharson et Mark Macaskill, ‘Reckless’ nuclear plant dumps waste on beaches, The Sunday Times, 6 mars 2005.

7. Voir Dounreay: Half-Lives, Half Truths, Friends of the Earth Scotland, 6 octobre 2000. http://www.foe-scotland.org.uk/nation/dounreay.html

8. Autorité britannique de l’énergie atomique (UKAEA), Minor Incident at Solid Waste Facility – Dounreay. Telex, 10 mai 1977.

9. Bureau britannique de radioprotection (National Radiological Protection Board, NRPB), cité par David Ross, Dounreay Admits Shaft Error, The Herald, 22 mai 1997.

10. John Arlidge, Fresh scare on nuclear waste, The Guardian, 2 février 1998.

11. ibid.

12. Colin Punler, attaché de presse de l’Autorité britannique de l’énergie atomique (UKAEA), communication privée.

13. John Ross, Decades-long task of taking apart Dounreay, The Scotsman, 15 juin 2006.

14. Colin Punler, attaché de presse de l’Autorité britannique de l’énergie atomique (UKAEA), communication privée.

15. Sandside Estate, Article de presse, communiqué de presse, 6 septembre 2006.

http://www.sandsideestate.com/pressRelease.asp?releaseId=526

Sandside Estate, Dr Day stands by…, communiqué de presse, 24 mars 2006. http://www.sandsideestate.com/pressRelease.asp?releaseId=495

16. Chambre extérieure de la Cour de Session d’Ecosse, Opinion Of Lady Paton In The Petition Of Magnohard Limited And Others, 15 août 2003. http://www.scotcourts.gov.uk/opinions/p777_02.html

17. Sandside Estate, Sandside Owner Expels Nuclear Chiefs From Contaminated Beach, communiqué de presse, 14 février 2006. http://www.sandsideestate.com/pressRelease.asp?releaseId=491

18. Colin Punler, attaché de presse de l’Autorité britannique de l’énergie atomique (UKAEA), communication privée.

19. Mark Macaskill, ibid.

20. John Ross, Nuclear particles ‘to stay on beach and in sea for ever’, 10 janvier 2006.

http://news.scotsman.com/topics.cfm?tid=566&id=41692006

21. David Ross, Clean up the nuclear beach at Dounreay? £70bn please, The Herald, 10 janvier 2006.

The emerging disaster at Dounreay

The Guardian, 12 septembre 2006

Ecrire un commentaire