La moitié de la population mondiale vit en ville

Plus de la moitié de la population mondiale vit désormais dans des villes. Légèrement inférieur à 30% en 1950, le taux d’urbanisation franchit en 2007 « la barre » de 50%. D’après les Nations Unies, il devrait se situer un peu au-dessus de 60% en 2030 [1]. La planète compte aujourd’hui 3,3 milliards de citadins, soit qua¬tre fois et demie plus qu’en 1950. En 2030, l’effectif de la population urbaine devrait atteindre 5 milliards; il y aurait alors autant de citadins dans le monde que d’ha¬bitants sur terre en 1987.

L’Afrique et l’Asie, moins urbanisées que les autres continents

L’urbanisation est plus ou moins avancée selon les continents: les plus développés sont aussi les plus urbanisés, avec les trois quarts de la population vivant en ville, mais l’Amérique latine, quoique moins développée, est également très urbanisée (78%). En revanche, l’Afrique et l’Asie comptent encore une majorité de ru¬raux, bien que l’Asie abrite près de la moitié des citadins du monde. Mais l’urbanisation progressant, les urbains de¬vraient y être majoritaires d’ici 2030 et ces continents, les plus peuplés, abriter la majorité des grandes cités.

Sur la période 1950-2005, la population urbaine a augmenté à un rythme inférieur à 1,4% par an dans les pays développés et supérieur à 3,6% dans ceux en développement. C’est en Afrique que la croissance urbaine a été la plus rapide – 4,3% par an en moyenne – et en Europe qu’elle a été la plus lente – moins de 1,2%. La croissance urbaine a été rapide aussi en Asie et en Amérique latine, les taux ayant été sur cette même pé¬riode respectivement de 3,4 et 3,3%. […]

De très grandes villes toujours plus nombreuses et plus peuplées

En 2005, la population urbaine se répartit à peu près à égalité entre villes de plus et de moins de 500.000 habitants. Le poids démographique des plus grandes agglomérations urbaines – celles dans lesquelles vivent plus de 10 millions d’habitants – s’est fortement accru au cours des trente dernières an¬nées, passant de 3,5% de l’ensemble de la population urbaine en 1975 à 9,3% en 2005. Alors que trois agglo¬mérations seulement comptaient plus de 10 millions d’habitants en 1975 (Tokyo, New York et Mexico), elles sont vingt en 2005. Près de 300 millions de personnes vivent dans ces très grandes agglomérations à cette date, près de six fois plus qu’en 1975. […]

La croissance démographique moteur de la croissance urbaine?

Les pays en développement connaissent aujourd’hui la croissance urbaine la plus forte. Une urbanisation rapide est généralement vue comme une des conséquences d’une forte augmentation de la population, la croissance urbaine étant alimentée de manière directe par la croissance naturelle en milieu urbain et, de manière indirecte, par l’exode rural résultant d’une pression démographique toujours plus intense dans les campagnes. Plus des quatre cinquièmes des variations du rythme de croissance de la population urbaine d’une région du monde à l’autre correspondent aux va¬riations du taux de croissance de la population totale.

L’urbanisation rapide des pays en développement pourrait aussi tenir à un retard de croissance urbaine dans ces pays. Il y aurait alors une sorte de rattrapage. Cependant, la comparaison des rythmes d’urbanisa¬tion des États-Unis et de l’Inde sur une longue période montre que la proportion de personnes vivant en ville a non seulement progressé beaucoup plus tardivement en Inde qu’aux États-Unis, mais aussi à un rythme sen¬siblement plus lent [2].

Les pays en développement cumulent en réalité des croissances de leur population totale et de leur popula¬tion urbaine plus fortes que les pays développés et des taux d’urbanisation plus faibles. […]

Une urbanisation obstacle au développement ?

Paul Bairoch, qui liait étroitement l’essor des villes et les « progrès de civilisa¬tion », a considéré que la logique d’une interaction positive entre urbanisation et développement économique – celle d’un renforcement mutuel – ne s’ap¬pliquait pas à la situation des pays aujourd’hui en dé¬veloppement [3]. L’historien de l’économie a qualifié l’urbanisation des pays en développement « d’inflation urbaine ».

[…]

Les difficultés d’insertion urbaine de personnes nouvellement installées dans les villes ont été bien mises en évidence, en Afrique notamment. Ces difficultés portent aussi bien sur l’accès au travail ou au logement que sur la formation des unions. Les problèmes de congestion de nombreuses grandes villes du Sud, l’élévation des niveaux de pollution ou l’accroissement du nombre de personnes vivant dans des bidonvilles sont a priori autant de signes d’un conflit actuel entre urbanisation et développement. Mais des analyses plus fines font apparaître des dynamiques urbaines parfois très complexes.

[…]

Les villes des pays développés seraient aussi en crise. Celle-ci se manifesterait par des phénomènes d’exclusion sociale et de ségrégation spatiale, par un nombre croissant de personnes vivant dans des situations de grande précarité ou de marginalisation. Mais ces problèmes sont-ils exclusivement urbains ou ne sont-ils pas, pour une partie d’entre eux, seulement « plus visibles » dans les villes où les populations se concentrent? Dans quelle mesure la question des ghettos aux États-Unis ou celle des banlieues en France sont-elles spécifiquement urbaines? Comme l’a écrit Jacques Donzelot, « que des problèmes sociaux se concentrent dans certaines parties de l’aire urbaine prouverait qu’il y a un problème dans la ville et en rien de la ville » [4].

Le monde ne cessera pas de s’urbaniser dans les prochaines décennies. Il n’en reste pas moins que la population mondiale comptera, en 2030, plus de trois milliards de personnes vivant en milieu rural. On a souvent parlé de la nécessité d’un véritable équilibre entre villes et campagnes, en particulier pour enrayer ou du moins limiter l’exode rural, sans que la nature de celui-ci ait été vraiment précisée. La suppression de « l’avantage urbain », c’est-à-dire des facilités de vie dont on peut bénéficier en ville, en raison de la présence d’équipements collectifs par exemple, ne semble guère réaliste d’autant que le poids politique des citadins se renforce au fur et à mesure que la taille des villes s’accroît. L’ampleur des inégalités entre villes et campagnes, qu’il s’agisse par exemple de l’accès à l’eau ou à l’électricité, varie d’une région du monde à l’autre mais les campagnes sont, en termes d’accès aux services de ce type, toujours fortement défavorisées [5]. Pour des raisons d’efficacité – limiter le départ des campagnes vers des villes – aussi bien que d’équité, il importe que les zones rurales ne restent pas à l’écart du développement.

[1] United Nations – World population Prospects. The 2006 Revision, United Nations, New York, 2007

(http://esa.un.org/unpp/)

[2] Jacques Véron – L’urbanisation du monde, Paris, La Décou¬verte, 2006

[3] Paul Bairoch – « Cinq millénaires de croissance urbaine » dans « Quelles villes, pour quel développement? », sous la direction d’Ignacy Sachs, Paris, PUF, p. 17-60, 1996

[4] Jacques Donzelot – « La nouvelle question urbaine », Esprit, novembre 1999, p. 87-114

[5] National research council – “Cities transformed: Demo¬graphic Change and its Implications in the Developing World”, M. R. Montgomery, R. Stren, B. Cohen, and H. E. Reed (eds), The National Academy Press, 2003

Jacques Véron.

Bulletin mensuel d’information de l’Institut National d’études Démographiques (INED)

Population et sociétés N° 435, juin 2007.

http://www.ined.fr/fr/ressources_documentation/publications/pop_soc/bdd/publication/1300/

Jacques Véron (INED)

Population et sociétés N°435, juin 2007.

L’article sur le site de l’INED

Ecrire un commentaire

Penser la post-croissance avec Tim Jackson : « il est temps de penser à la suite, de s’éloigner de la question et de l’obsession de la croissance »

Lire l'article