Pisciculture : le boom de l’aquaculture

L’aquaculture peut-elle augmenter suffisamment pour subvenir aux besoins croissants en protéines de poisson de la population mondiale ? Certes, on peut s’attendre à une croissance de l’aquaculture, mais on ignore dans quelle mesure. Une analyse estime que la production mondiale pourrait doubler d’ici 2020, pour atteindre 70 millions de tonnes (OCDE 2001:112-113), une croissance qui concernerait aussi bien l’aquaculture intensive que la pisciculture à petite échelle. Les techniques et technologies d’aquaculture doivent sans cesse évoluer afin de répondre à une demande mondiale en poisson toujours plus forte malgré le déclin des réserves océaniques. Par ailleurs, la pisciculture à petite échelle représente pour les éleveurs une source de revenus et d’alimentation ; un avantage qui devrait permettre d’étendre la pisciculture hors de ses frontières traditionnelles en Asie (FAO 1997:24-25).

Mais la croissance de l’aquaculture doit faire face à d’importants défis. À commencer par le fait que la pisciculture requiert des terres et de l’eau, ressources déjà rares dans certaines régions. En Thaïlande, ces ressources sont depuis quelques années fortement exploitées en aquaculture. Par exemple, la moitié des terres utilisées aujourd’hui pour l’élevage de crevettes accueillait autrefois des rizières. En outre, dans certaines régions côtières, les dérivations d’eau en direction de ces étangs ont considérablement réduit le niveau des eaux souterraines. En Chine, les inquiétudes concernant la disparition des terres arables ont conduit à restreindre la transformation de terres agricoles en aquaculture (Holmes 1996:35-36).

Mais les conséquences environnementales de l’aquaculture sont encore plus graves, notamment dans les systèmes de production intensive et dans les grandes fermes piscicoles destinés à l’élevage de crevettes, de saumons ou d’autres espèces de valeur. La crevetticulture a causé des dégâts très importants dans les habitats côtiers, comme en Afrique ou en Asie du sud-est où la mangrove disparaît à une vitesse inquiétante pour laisser la place aux étangs piscicoles (Gujja et Finger-Stich 1996:12-15 ; Iwama 1991:192-216). Entre 1987 et 1993, soit tout juste 6 ans, plus de 17 % de la mangrove thaïlandaise a cédé sa place à l’élevage de crevettes (Holmes 1996:36). La disparition de la mangrove expose les régions côtières à l’érosion et aux inondations, et a modifié les tracés hydrographiques, augmenté l’intrusion d’eau de mer et détruit l’habitat vital de nombreuses espèces aquatiques (Iwama 1991:177-216). […]

L’aquaculture intensive peut également provoquer des pénuries d’eau et une forte pollution. L’élevage d’une seule tonne de crevettes nécessite 50 à 60 000 litres d’eau (Anonyme 1997:109). Lorsque cette eau est déversée dans les rivières ou dans la mer pour être remplacée par une eau propre, la concentration en matières fécales, en nourriture non consommée ou en autres matières organiques peut mener à un appauvrissement en oxygène de l’eau et ainsi favoriser la croissance d’algues dangereuses. Rien qu’en Thaïlande, la crevetticulture rejette 1,3 milliard de mètres cubes d’effluents dans la mer chaque année (Holmes 1996:34-35). En Écosse, l’élevage d’une tonne de saumon rejette près de 100 kilos de composés azotés tels que l’ammoniaque dans les eaux locales (Roth 2000:38). Enfin, la pollution par les nutriments de l’aquaculture peut se retourner contre cette dernière et faire baisser la productivité en provoquant des maladies parmi les poissons (Naylor et al. 2000:8).

Paradoxalement, une partie de l’aquaculture intensifie l’exploitation des réserves océaniques au lieu de les soulager. Comme on l’a vu précédemment, des espèces carnivores telles que le saumon ou les crevettes, se nourrissent uniquement d’aliments hyperprotéiques à base de poisson (un mélange d’espèces de faible valeur comme les sardines ou les anchois). En outre, il est de plus en plus fréquent, surtout en Asie, de gaver les poissons (herbivores ou omnivores) d’aliments contenant jusqu’à 15 % de chair ou d’huile de poisson. L’addition de viande ou d’huile de poisson pourrait augmenter davantage la pression sur les ressources pélagiques et les écosystèmes marins (Naylor et al. 2000:4,8). D’après certaines estimations, jusqu’à 33 % du poisson péché est utilisé dans l’aquaculture. Pis, il faut près de 2 kg de nourriture pour produire un seul kilo de poissons ou de crevettes d’élevage. Il en résulte une perte nette en protéines de poisson (Naylor et al. 2000:4-5).

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que les progrès concernant les conséquences environnementales de l’aquaculture sont visibles. Par exemple, plusieurs pays pratiquant l’élevage de saumon ont mis en place des contrôles de la production afin de garantir un seuil maximal de pollution (FAO 1997:22). Dans certains cas, les nouvelles technologies ont également joué un rôle. À Puget Sound, sur la côte ouest des États-Unis, un éleveur de saumon utilise une cuve géante et flottante, à moitié fermée, plutôt que des enclos en filets. La cuve empêche ainsi les déchets de polluer les eaux, mais empêche aussi les saumons de s’échapper et de se reproduire avec des saumons sauvages, ce qui contaminerait leur patrimoine génétique (Christensen 1997:27-29). Optimiser la production de poisson avec d’autres espèces marines, comme les moules ou les algues qui se développent particulièrement bien dans les eaux usées des élevages piscicoles, pourrait permettre de réduire les quantités de nutriments et de particules. Au Chili, certaines espèces de saumon sont élevées avec une algue rouge qui supprime l’azote et les déchets phosphorés des cages. Les effluents peuvent aussi être utilisés pour la culture d’algues marines, ce qui permet de compenser les coûts de création de ces systèmes intégrés (Naylor 2001:9).

Mais la crevetticulture, si problématique, montre des signes de progrès. En Asie du sud, un grand producteur de crevettes a temporairement interdit les nouveaux bassins tant que le gouvernement n’adopte pas une politique sociale et environnementale acceptable (FAO 1997:22). Dans certaines régions en Thaïlande, les éleveurs coordonnent la vidange de leurs étangs afin de contrôler la propagation des maladies. En outre, certains éleveurs de crevettes œuvrent pour la mise en place d’un écolabel visant à certifier que les crevettes proviennent d’élevages ayant des pratiques saines (Christensen 1997:29).

La recherche en aquaculture est également en bonne voie pour passer à un élevage à forte productivité et faibles conséquences environnementales. Les chercheurs chinois développent par exemple un supplément protéinique à base de levure pouvant remplacer plus de la moitié du poisson dans les préparations alimentaires destinées à l’aquaculture. De plus, les recherches piscicoles ont déjà donné lieu à une espèces de tilapia qui grandi 60 % plus vite et avec des taux de survie plus élevés que les tilapias classiques (Holmes 1996:34-35).

En fin de compte, la contribution de l’aquaculture à l’offre mondiale en poisson dépendra des innovations qui permettront aux élevages d’imiter les écosystèmes naturels, en améliorant notamment le recyclage des nutriments et en réduisant la production de déchets (Folke et Kautsky 1992:5-24). La rentabilité et la flexibilité de l’aquaculture pourront donc rester intacts tout en minimisant les apports et les conséquences négatives.

Farming Fish : the Aquaculture Boom

Rappport rédigé pour le WRI par Greg MOCK, Robin WHITE et Amy WAGENER, mis à jour pour Earthtrends

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