La France insuffisamment préparée aux accidents industriels

usine AZF

Explosion de l'usine AZF, le 21 septembre 2001 à Toulouse © AFP/Archives Eric CABANIS

Près de 20 ans après la catastrophe AZF, la France semble toujours insuffisamment préparée au risque d’accident industriel, au vu des auditions menées par le Parlement sur l’incendie « hors norme » de l’usine chimique Lubrizol à Rouen il y a deux mois.

« On a su passer du tocsin à la sirène au début du XIXe siècle. Je pense qu’au XXIe siècle (…) il faut que nous passions au cell broadcast », c’est-à-dire à l’alerte de la population par téléphone portable, a relevé jeudi le préfet de Normandie Pierre-André Durand devant la commission d’enquête du Sénat sur l’incendie de l’usine Seveso seuil haut.

Car « quand sonne une sirène, il faut rester chez soi (…) mais qui le sait ? », a poursuivi le haut fonctionnaire, expliquant pourquoi il n’a déclenché les sirènes qu’à 8h45 pour un incendie qui avait débuté vers 2h30.

Ce système Cell Broadcast, pratiqué notamment aux États-Unis et au Japon, et dont Bruxelles demande la mise en place pour juin 2022, permettrait de prévenir tout en donnant une consigne. Et d’éviter que des maires ne soient alertés officiellement par la préfecture que douze heures après le début du sinistre comme cela fut le cas le 26 septembre.

Mais pour l’association des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs Amaris, les défaillances vont bien au delà de sirènes « inaudibles ». Selon un livre blanc qu’elle a publié début novembre et cité par les parlementaires, « la mise en protection des activités riveraines (…) reste une étape à franchir » en France.

Face au « problème très français d’une culture du risque assez distanciée » selon le préfet, pour qu’une population ait « les bons réflexes », « il n’y a que les exercices ».

« Les Japonais nous ont appris ça par rapport au risque tectonique », a de son côté estimé le vice-président EELV de la métropole de Rouen Cyrille Moreau au Sénat mercredi, plaidant pour des exercices à l’échelle des agglomérations, payés par les industriels.

« A ma connaissance à l’échelle des grandes agglomérations, il n’y a aucun exercice », a de son côté constaté le président PS de la métropole Yvon Robert, « extrêmement réservé » quant à de tels exercices. Selon lui, près de 2,5 millions de personnes vivent à proximité des 1.312 sites Seveso français.

« Plan de prévention riquiqui »

Dans la foulée de la catastrophe AZF qui avait fait 31 morts en 2001, des mesures avaient été prises comme la création de plans de prévention des risques (PPRT).

« Le PPRT de Lubrizol fait que l’incendie ne s’est déroulé que sur moins de 10% du site », a souligné Yvon Robert. Et le sinistre n’a pas fait de victime.

Mais cela n’a pas empêché les pompiers de manquer d’eau face à trois hectares de feu d’hydrocarbures. L’incendie a « nécessité quatre fois plus d’eau » que la quantité prévue par l’arrêté préfectoral fixant des minima pour ce site, a précisé le commandant Jean-Yves Lagalle, le directeur des pompiers de Seine-maritime, « On a la chance d’avoir eu la Seine ».

« On s’est aperçu que les pompiers ne sont pas forcément équipés pour aller sur des sites tels que les nôtres », a de son côté affirmé Corinne Adam, déléguée CFTC de l’usine Lubrizol.

« Le PPRT de Lubrizol est riquiqui », avec « 14 maisons concernées » a dénoncé le 12 novembre l’avocate et ancienne ministre Corinne Lepage au Sénat. Selon Yvon Robert, entre 150.000 et 250.000 personnes se sont retrouvées sous le panache de fumée noire de 22 km de long.

Et Lubrizol n’a pas bénéficié des services d’un des rares camions de pompiers français capable de mesurer la pollution, selon Mme Lepage.

Ministre de l’environnement lorsque qu’une fuite de gaz de cette même usine Lubrizol avait provoqué un nuage nauséabond perçu jusqu’en Angleterre, Delphine Batho a dénoncé, comme Mme Lepage, une baisse des budgets de la prévention des risques technologiques, un affaiblissement des règles concernant les installations classées et des sanctions « dérisoires » appliquées aux entreprises.

Le nombre de visite d’inspections sur sites classés a ainsi baissé de 40% en douze ans, selon David Romieux du syndicat CGT.

© AFP

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