L’aciérie Ilva en Italie, du désastre sanitaire au séisme social

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Des ouvriers devant l'entrée principale de l'aciérie Ilva en Italie, propriété d'ArcelorMittal, le 8 novembre 2019 à Tarante, dans le sud de l'Italie © AFP ANDREAS SOLARO

C’était un désastre sanitaire et écologique, c’est désormais aussi un séisme social. En annonçant qu’il renonçait à reprendre l’aciérie de Tarente, dans le sud de l’Italie, ArcelorMittal a compromis l’avenir industriel d’une des régions les plus pauvres du pays.

C’est la plus grande aciérie d’Europe et les cheminées de celle qu’on appelle encore ici de son nom historique d’Ilva, reprise l’an passé par la multinationale ArcelorMittal, sont visibles à des kilomètres à la ronde.

Dans le quartier populaire de Tamburi, qui jouxte le géant de 15 millions de mètres carrés, on a longtemps été fier de travailler à l’Ilva, un site qui a vu passer des générations d’ouvriers.

« Aujourd’hui on n’y croit plus, on a trop souffert avec la pollution, les gens malades et aujourd’hui Mittal qui nous lâche », constate amèrement Fabio Cocco, employé de l’usine d’où le magnat indo-britannique Lakshmi Mittal veut se retirer.

« Et pour ne pas nous lâcher, il demande à pouvoir licencier 5.000 personnes. C’est le énième chantage du genre que nous subissons et moi j’en ai assez », confesse cet ouvrier de 45 ans.

Les syndicats ont appelé à une grève de 24 heures à partir de vendredi matin sur tous les sites italiens du groupe, y compris celui de Tarente.

ArcelorMittal a repris fin 2018 le groupe Ilva avec 10.700 employés dont 8.200 à Tarente, deuxième ville des Pouilles, frappée par un taux de chômage de 16,7% en 2018 mais de 56,2% chez les jeunes (selon l’Institut national de la statistique).

D’abord propriété de l’Etat, l’Ilva avait été privatisée en 1995 et cédée au groupe familial Riva, chargé de la relancer après la grande crise de l’acier des années 80.

C’est à l’époque que sont apparus les premiers soupçons de causalité entre l’impact environnemental du pôle sidérurgique et le nombre anormalement élevé de cas de cancers, souvent infantiles, des habitants de la zone.

« On voyait à l’oeil nu les poussières toxiques flotter dans l’air du quartier mais on n’imaginait pas que le problème était également invisible, avec des substances comme la dioxine », explique à l’AFP Cosimo Martinese, 70 ans, retraité de l’Ilva.

En 2012, une vaste enquête pour catastrophe environnementale avait conduit la justice à ordonner la mise aux normes de toutes les installations dites « à chaud » (hauts fourneaux, cokerie) à des fins d’assainissement du site.

« Mais, depuis 2012, rien n’a été fait, aucune nouvelle technique n’a été appliquée sur cette partie de l’usine si bien que les problèmes de pollution demeurent », déplore Cosimo Martinese.

Responsabilité politique

Pour Pasquale Maggi, 41 ans, lui aussi ouvrier d’Ilva, « la responsabilité de cette situation incombe aux politiques qui ont préféré maintenir le site d’Ilva en activité tel qu’il est, en dépit des risques pour la santé de la population ».

L’ouvrier évoque plusieurs décrets-lois adoptés par les gouvernements successifs « pour contourner niveaux de pollution consentis et repousser les délais de mise au norme du site imposés par la justice ».

L’entreprise avait aussi été placée sous administration extraordinaire en 2015 jusqu’à ce que l’Etat choisisse de confier son destin à ArcelorMittal dans le cadre d’un appel d’offres international.

Ce dernier a annoncé lundi qu’il retirait son offre de reprise, estimant ne plus bénéficier d’une protection juridique contre d’éventuelles poursuites pénales liées à la pollution du site.

En réalité, « l’objectif de Mittal en rachetant l’Ilva était de mettre la main sur son portefeuille de clients pour conforter sa position dominante sur le marché de l’acier, et ensuite se retirer », assure l’ouvrier Fabio Cocco.

Selon les syndicats, l’argument de la protection juridique est un prétexte car l’Etat est disposé à la lui donner: le géant de l’acier veut faire passer la production annuelle, de 5,6 millions de tonnes actuellement, à 4 millions. Ce qui équivaudrait à supprimer 5.000 emplois.

Le site de Tarente, qui perd 2 millions d’euros par jour, « est stratégique mais il est surdimensionné par rapport à la demande actuelle d’acier, c’est pourquoi Mittal souhaite réduire ses effectifs de moitié et sa production pour le rendre plus compétitif », explique à l’AFP le journaliste Fulvio Colucci, auteur du livre « Invisibili: Vivere e morire all’Ilva di Taranto » (Invisibles: Vivre et mourir à l’Ilva de Tarente).

Selon l’Association italienne pour le développement du sud (Svimez), la fermeture de site équivaudrait à une baisse de 0,2% du PIB, soit une perte de 3,5 milliards (dont 2,6 pour le sud de la péninsule).

© AFP

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