Combien vaut une belette ou un champ de tournesols ?

Donner une valeur à la biodiversité est un exercice difficile. Bernard Chevassus-au-Louis, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle, ancien directeur de l’Inra, a présidé un groupe de travail et élaboré une méthode de calcul de la valeur économique de la biodiversité. Il revient sur ses travaux.

Peut-on coller une étiquette sur le dos d’un animal ou d’un végétal et qui donne sa valeur ?

Non. Il est impossible de donner une valeur économique à une espèce en tant que telle, étant donné l’immense complexité des écosystèmes. Dans un sol, par exemple, on trouve des bactéries, des champignons, des vers de terres, des insectes, des racines d’arbres, des mousses qui, tous ensemble, interagissent et constituent la fonction du sol. Notre méthode considère tout cela comme une grande boîte noire. Considérer un par un les éléments de l’écosystème, ce serait aussi absurde que de juger la valeur d’un orchestre en écoutant d’abord le premier violon, puis le second, la grosse caisse, le cor…

Alors combien vaut la belette ou le saumon ? Je ne sais pas. La valeur d’une espèce dépend de l’unité géographique, des fonctions étudiées, du temps considéré… Et de notre point de vue, qui est forcément anthropocentré.

Vous avez évalué les écosystèmes au travers des « services rendus », c’est-à-dire de leur utilité. Pourquoi vous êtes-vous limité à cet aspect ?

Parce qu’on est paresseux ! Plus sérieusement, c’est la solution la plus simple. La nature doit être considérée pour les services qu’elle rend. Toute peine mérite salaire, à condition que le salaire soit évalué correctement. Nous avons également fait également l’hypothèse de proportionnalité entre la quantité de biodiversité et la quantité de services, ce qui était le postulat de base le plus simple. A ma connaissance, il n’existe pas de meilleur modèle. Nous avons utilisé la typologie conçue par l’Evaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Assessment Report). On y trouve les services de prélèvement (par ex. de bois, de nourriture…), les services de régulation (climatique, des maladies, hydrique…) et les services culturels (beauté, inspiration, écotourisme…).

Mais existe-t-il de services que l’on ne peut pas évaluer ?

La biodiversité a certainement un effet sur la santé, mais on n’a pas pu l’évaluer, faute de données suffisantes. Idem pour son rôle dans la lutte contre l’érosion, bien qu’il soit considérable.

Imaginons une forêt normande qui, en jouant le rôle de tampon, absorbe l’eau des pluies dans cette région particulièrement humide. La présence de la forêt évite des coulées de boues dévastatrices. Dans l’idéal, il faudrait donc tenir compte non seulement du coût de l’indemnisation des habitants dont les maisons seraient détruites; mais aussi de l’achat de terre meuble servant à remblayer le sol lessivé, etc.

De plus, certains services ne sont pas connus aujourd’hui, mais le seront peut-être demain. Les forêts primaires regorgent certainement de plantes ou d’animaux ayant une valeur pharmaceutique, mais qu’on ne connaît pas.

De surcroît, nous nous sommes intéressés uniquement aux valeurs d’usage. Ainsi, la baleine qui vit au large de la Patagonie peut avoir une valeur morale pour une famille suédoise qui ne la verra jamais, mais on ne l’a pas prise en compte.

Parce que l’on considère qu’il existe des valeurs autres qu’économiques. Les valeurs patrimoniales, culturelles, esthétiques, éthiques, ne peuvent être monétarisées.

Vous avez également introduit une distinction entre biodiversité remarquable et ordinaire. Pourquoi ?

La biodiversité remarquable, c’est celle qu’on voit sur les listes de protection, les arrêtés de biotope, les directives habitat, les sites classés. On considère la biodiversité selon ses différents niveaux d’organisation : génétique, spécifique ou écologique.

Ce sont les pandas, les baleines, la forêt amazonienne, certaines mangroves, une race locale de cochons domestiques aux caractéristiques originales. Elle est analogue à celle de nos monuments historiques. Personne ne songerait à donner sérieusement une valeur à Notre-Dame-de-Paris. D’autre part, ces éléments patrimoniaux sont souvent rares, puisqu’une espèce menacée n’a plus de populations viables. En conséquence, et presque paradoxalement, cette espèce ne fournit donc pas beaucoup de services à l’écosystème ni de services économiques.

Évidemment, cette biodiversité remarquable doit d’abord être remarquée. Elle est complètement conditionnée par l’état de nos connaissances.

Donner une valeur à la nature, n’est-ce pas favoriser sa marchandisation ?

Nous nous sommes longuement demandé si on n’était pas en train de mettre le doigt dans un engrenage mortel avec cette méthode. Pourtant, d’un point de vue juridique, lorsqu’une rivière est polluée par une entreprise, celle-ci paye des dommages et intérêts, tout le monde considère cela comme normal…Nous estimons donc que monétariser la nature ne revient pas à la mercantiliser, à savoir autoriser les transactions financières sur un marché libre. Maintenant, il faut que des législations claires encadrent tout cela.

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