L’hydrologue Charlène Descollonges, auteure d’Agir pour l’eau : « les écogestes ne suffiront pas à rendre nos sociétés plus résilientes face aux extrêmes hydrologiques »

L’hydrologue Charlène Descollonges, auteur d’Agir pour l’eau agir pour l'eau ecogeste citoyen

L’hydrologue Charlène Descollonges, auteur d’Agir pour l’eau ©Yannick Perri

Ingénieure hydrologue de formation, Charlène Descollonges travaille sur la gestion de la ressource en eau. Elle a également cofondé l’association pour une hydrologie régénérative. Alors que le changement climatique et les activités humaines accentuent les pressions sur la ressource en eau tout en impactant les cycles de l’eau, Charlène Descollonges propose des pistes d’action. L’hydrologue Charlène Descollonges vient de publier Agir pour l’eau, le mode d’emploi citoyen chez Tana édition. L’occasion pour GoodPlanet Mag’ de l’interviewer.

Dans Agir pour l’eau, vous insistez sur le fait que notre connaissance du cycle de l’eau s’avère datée, si ce n’est erronée. Est-ce que cela explique en partie les difficultés à agir pour préserver cette ressource ?

Nous souffrons premièrement d’une absence de perception des activités qui impactent le grand cycle de l’eau. C’est un problème. Or, les activités humaines ont un impact sur l’eau. On le conceptualise aujourd’hui grâce à l’empreinte eau. Cette notion rend compte de l’appropriation de l’eau par les activités humaines comme l’agriculture, la fabrication des objets ou encore la production d’énergie… Elles dépendent toutes de l’eau qu’on désigne sous trois couleurs : bleue, verte et grise.

« Les activités humaines ont un impact sur l’eau »

De plus, nous ne nous figurons pas le pouvoir de recyclage des eaux continentales que les végétaux possèdent, en particulier les forêts. Il faut en effet savoir qu’elles sont capables de recycler l’eau qu’elles captent du sol grâce à l’évapotranspiration. Cette eau devient alors source de pluie ailleurs sur le continent.  On parle de « petit cycle de l’eau » pour désigner le phénomène. Cette interdépendance-là, entre les végétaux et la pluie, ainsi que l’impact des activités humaines ne sont pas encore représentés dans le cycle de l’eau qu’on présente aux écoliers et au grand public.

Vous parlez du « petit cycle de l’eau », qu’est-ce donc ?

Il peut y avoir une confusion sur l’expression « petit cycle de l’eau » en français. Car, en France, le petit cycle de l’eau réfère au cycle urbain de l’eau pour l’eau potable et l’assainissement.

« Le processus naturel de recyclage de l’eau verte »

Pourtant, dans le monde anglo-saxon, l’expression désigne le processus naturel de recyclage de l’eau verte. Le grand cycle de l’eau inclut donc le petit cycle de l’eau au sens du circuit de l’eau verte à l’intérieur des continents, qui passe du vol aux végétaux à la pluie qui retombe sur et dans les sols et donc les plantes, ainsi que tout ce qui se situe à l’échelle du bassin versant, c’est-à-dire les rivières, les nappes et les eaux de surface.

En quoi est-il important de saisir la distinction entre eau bleue, eau verte et eau grise ? D’ailleurs de quoi parle-t-on quand on emploie ces termes ?

L’eau verte correspond à toute l’eau prise dans le sol par les végétaux. Ils l’évacuent pour évapo-transpirer et faire leur photosynthèse afin de grandir. Cette eau part dans l’atmosphère où elle reste en moyenne 9 jours avant de reprécipiter ailleurs à l’intérieur des continents. Ce petit cycle de l’eau est profondément affecté par le changement d’affectation d’usage des sols qui impacte la couverture végétale. Il s’agit là de la déforestation, de l’artificialisation des sols, de la conversion d’une prairie en monoculture de céréales… Ce qui va influencer l’humidité des sols et donc le recyclage de l’eau verte.

« Ce petit cycle de l’eau est profondément affecté par le changement d’affectation d’usage des sols qui impacte la couverture végétale »

On tient compte de ces phénomènes quand on parle d’empreinte eau car 80 % de l’empreinte eau de l’humanité est constituée d’eau verte dont nous avons besoin pour l’agriculture et la production de biomasse destinée à nous nourrir. Tout ce qui fait fonctionner notre économie dépend en partie de l’eau verte, or nous avons du mal à nous en rendre compte. C’est aussi pourquoi les chiffres en empreinte eau se révèlent astronomiques.  Nous dépendons grandement de l’eau verte alors que la limite planétaire a été franchie dans ce domaine.

[À lire aussi « L’eau verte », une nouvelle limite planétaire qui, à peine conceptualisée, se trouve déjà dépassée]

Et l’eau bleue ?

L’eau bleue est l’eau utilisée pour les besoins humains domestiques et prélevée depuis une rivière, un lac ou une nappe. Elle sert aussi à irriguesr les champs ou dans les processus industriels.

L’eau grise ?

Les eaux grises sont celles qui sont polluées et qu’on rejette dans l’environnement sans traitement.

Alors que le sujet des économies d’eau fait partie des basiques de la sensibilisation écologique, avec moultes petits gestes quotidiens répétés depuis des décennies, comme fermer les robinets et traquer les fuites, pourquoi est-il plus que jamais important d’agir pour l’eau ?

Les écogestes comme se priver d’un bain ou raccourcir sa douche sont certes des gestes importants, mais ils ne suffisent pas à eux-seuls pour solutionner le problème de la trop grande empreinte eau de nos sociétés. Car, le problème est bien plus complexe. Relever les défis des sécheresses et des inondations qui augmentent nécessité plus d’ambition. Les activités humaines ont déjà dégradé le cycle de l’eau. Le changement climatique va venir exacerber une situation déjà désastreuse.

« Nos modes de vie sont à la fois tellement dépendants de l’eau et tellement aquavores. »

Nos modes de vie sont à la fois tellement dépendants de l’eau et tellement aquavores. Il faut comprendre que nous avons fondamentalement déstabilisé le grand cycle de l’eau et le fonctionnement des écosystèmes aquatiques à cause de notre empreinte eau trop élevée. Par exemple, le fait d’avoir drainé les zones humides, d’avoir asséché les rivières ou bien d’avoir modifié leur course en touchant aux méandres ou en les aménageant pour permettre la circulation des bateaux ou édifier un barrage hydraulique déstabilise les milieux aquatiques, ce qui les rend plus vulnérables aux sécheresses et aux inondations. Or, les écogestes ne suffiront pas à rendre nos sociétés plus résilientes face aux extrêmes hydrologiques.

« Les écogestes ne suffiront pas à rendre nos sociétés plus résilientes face aux extrêmes hydrologiques. »

Qu’est-il possible de faire pour agir efficacement en faveur de l’eau, au-delà des petits gestes individuels ?

Le premier levier d’action dont nous disposons à titre individuel et collectif concerne notre alimentation. J’ai l’habitude de dire que nous mangeons principalement de l’eau et celle-ci est verte. Notre empreinte eau individuelle se situe entre 9000 et 4000 litres par jour, essentiellement de l’eau verte.

« Nous mangeons principalement de l’eau et celle-ci est verte. »

Plus un régime alimentaire est carné, plus l’empreinte eau augmente.  Donc, manger moins de viande et de produits d’origine animale, avoir un régime végétarien, si possible bio, local et de saison permet de limiter notre consommation d’eau virtuelle, celle qui rentre dans la fabrication de tout ce que nous consommons. Car le bio, local et de saisons respectent les sols et les nappes. Il est possible d’économiser l’équivalent de 2500 litres d’eau virtuelle chaque jour par personne.

[À lire aussi L’eau virtuelle démasque un problème bien réel et L’eau virtuelle et nous]

Un autre levier est de revoir nos modes de consommation de façon générale. Le textile, les objets connectés, le numérique nécessitent de grandes quantités d’eau virtuelle.

Un dernier levier concerne notre mobilité. La décarbonation du secteur des transports repose en partie sur l’électrification des véhicules, ce qui implique une activité minière extractive très demandeuse en eau. Ainsi, réduire la place, la taille et le poids des voitures, quand elle est éclectique, permet de réduire notre impact eau en diminuant les besoins en ressources naturelles.

Avez-vous un conseil ?

Il faut agir pour limiter les dégâts et tendre vers un climat vivable à la fin du siècle. Cela passe par la réduction de notre empreinte carbone et de notre empreinte eau. Elles vont de pair. J’invite chaque personne à s’engager pour l’eau.

« L’eau est un sujet politique. »

Car l’eau est un sujet politique. Nos choix électoraux influencent les politiques de l’eau partout sur le territoire. Les élections municipales auront lieu en 2026, les citoyens pourront alors interpeler les élus et les candidats à ce propos.

« Il faut s’engager pour la reconnaissance des droits des rivières et des fleuves. »

De plus, je pense qu’il faut s’engager pour la reconnaissance des droits des rivières et des fleuves. Le sujet émerge en France. Il mérite d’être débattu. Prendre soin des cours d’eau est très important pour être plus résilient face aux extrêmes hydrologiques.

Avez-vous un dernier mot ?

J’aimerais terminer en rappelant que d’autres pays ont déjà donné des droits aux rivières et qu’il est possible de s’en inspirer. Cette approche, loin de contrecarrer la gouvernance actuelle de l’eau, la bonifie et permettrait de reconnecter les citoyens français à leurs rivières. Il est vital de se reconnecter à toute l’eau bleue, rivières et lacs, qui sont aujourd’hui en crise, alors que l’eau nous entoure depuis toujours.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Le site Internet de l’association Pour Une Hydrologie Régénérative

Agir pour l’eau, le mode d’emploi citoyen par Charlène Descollonges, Tana éditions. La page du livre sur le site de l’éditeur Agir pour l’eau | Charlène Descollonges | Tana

Le site de Charlène Descollonges – Hydrologue conférencière

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