L’Allemagne fait ses adieux définitifs au nucléaire

Une tour de refroidissement de la centrale nucléaire d'Emsland avec un slogan projet par des activistes "Énergie nucléaire - plus jamais"

Une tour de refroidissement de la centrale nucléaire d'Emsland avec un slogan projet par des activistes "Énergie nucléaire - plus jamais", à Lingen, dans l'ouest de l'Allemagne, le 10 avril 2023 © AFP Ina FASSBENDER

Berlin (AFP) – L’Allemagne maintient le cap de sa sortie du nucléaire malgré la crise énergétique: le pays débranche samedi ses trois derniers réacteurs et fait le pari de réussir sa transition verte sans l’énergie atomique.

Au bord de la rivière Neckar, non loin de Stuttgart (sud), la vapeur blanche qui s’échappe de la centrale nucléaire du Bade-Wurtemberg ne sera bientôt plus qu’un souvenir.

Même chose plus à l’Est pour le complexe bavarois d’Isar 2 et dans celui d’Emsland (nord), à l’autre bout du pays, non loin de la frontière néerlandaise.

Alors que de nombreux pays occidentaux dépendent du nucléaire, la première économie européenne tourne la page. Même si le sujet sera resté controversé jusqu’au bout.

L’Allemagne met en œuvre la décision de sortir du nucléaire prise en 2002, et accélérée par Angela Merkel en 2011, après la catastrophe de Fukushima.

Fukushima a montré que « même dans un pays de haute technologie comme le Japon, les risques liés à l’énergie nucléaire ne peuvent être maîtrisés à 100% », justifiait l’ex-chancelière à l’époque.

L’annonce avait convaincu l’opinion dans un pays où le puissant mouvement anti-nucléaire s’est d’abord nourri des craintes d’un conflit lié à la guerre froide, puis des accidents comme Tchernobyl.

L’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022, aurait pu tout remettre en question : privée du gaz russe dont Moscou a interrompu l’essentiel des flux, l’Allemagne s’est retrouvée exposée aux scénarios les plus noirs, du risque d’arrêt de ses usines à celui d’être sans chauffage en plein hiver.

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« La roue a tourné »

 

A quelques mois de la date initialement fixée pour fermer les trois derniers réacteurs, le 31 décembre dernier, le vent de l’opinion a commencé à tourner : « avec les prix élevés de l’énergie, le sujet brûlant du climat, des voix se sont bien sûr élevées pour prolonger les centrales », témoigne Jochen Winkler, maire de la commune de Neckarwestheim, où la centrale du même nom vit ses dernières heures.

Le gouvernement d’Olaf Scholz, auquel participe le parti des Verts, le plus hostile au nucléaire, a finalement décidé de prolonger l’exploitation des réacteurs pour sécuriser l’approvisionnement. Jusqu’au 15 avril.

Explosion d'une tour de refroidissement de l'ancienne centrale nucléaire allemande de Biblis
Explosion d’une tour de refroidissement de l’ancienne centrale nucléaire allemande de Biblis, fermée depuis 2011 et en cours de démantèlement, le 23 février 2023
© AFP Daniel ROLAND

« Il y aurait peut-être eu une nouvelle discussion si l’hiver avait été plus difficile, s’il y avait eu des coupures de courant et des pénuries de gaz. Mais nous avons passé un hiver sans trop de problèmes », grâce à l’importation massive de gaz naturel liquéfié, note M. Winkler.

Pour le maire de la bourgade de 4.000 habitants, dont plus de 150 travaillent à la centrale, « la roue a déjà tourné » et il n’était plus temps de « revenir en arrière ».

Seize réacteurs ont été fermés depuis 2003. Les trois dernières centrales ont fourni 6% de l’énergie produite dans le pays l’an dernier, alors que le nucléaire représentait 30,8% en 1997.

Entretemps, la part des renouvelables dans le mix de production a atteint 46% en 2022, contre moins de 25% dix ans plus tôt.

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5 éoliennes par jour

 

Le rythme actuel de progression des renouvelables ne satisfait toutefois ni le gouvernement, ni les défenseurs de l’environnement et l’Allemagne n’atteindra pas ses objectifs climatiques sans un sérieux coup de collier.

Ces objectifs « sont déjà ambitieux sans la sortie du nucléaire – or chaque fois qu’on se prive d’une option technologique, on rend les choses plus difficiles », note Georg Zachmann, spécialiste des questions d’énergies pour le cercle de réflexion bruxellois Bruegel.

L’équation est encore plus complexe compte-tenu de l’objectif d’arrêter toutes les centrales à charbon du pays d’ici 2038, dont un grand nombre dès 2030.

Le charbon représente encore un tiers de la production électrique allemande, avec une hausse de 8% l’an dernier pour compenser l’absence de gaz russe.

L’Allemagne doit installer « 4 à 5 éoliennes chaque jour » au cours des prochaines années pour couvrir ses besoins, a prévenu Olaf Scholz. La marche est haute comparée aux 551 unités posées en 2022.

Une série d’assouplissements règlementaires adoptés ces derniers mois doit permettre d’accélérer le tempo. « Le processus de planification et d’agrément d’un projet éolien prend en moyenne 4 à 5 ans », selon la fédération du secteur (BWE), pour qui gagner un ou deux ans serait déjà « un progrès considérable ».

© AFP

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6 commentaires

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    • Guy J.J.P. Lafond

    Comme j’aimerais que la province de l’Ontario au Canada, là où la multinationale Volkswagen installera très prochainement une immense usine de de fabrication de batteries pour véhicules électriques, ait elle aussi un puissant mouvement anti-nucléaire!
    @GuyLafond
    Bon serviteur de notre pays présentement en devoir bénévole pour l’ONU en attendant de reprendre mon poste à Ottawa, ON, Canada.
    https://mobile.twitter.com/UNBiodiversity/status/1395129126814691329

    • Balendard

    Vu le réchauffement climatique en cours le lutin thermique que je suis pense à ce sujet que c’est l’Allemagne qui a raison et non la France

    • Balendard

    Ceci dit on ne peut pas tout faire d’un coup. On pourrait consommer différemment Voir

    http://www.infoenergie.eu/riv+ener/2consommation.pdf

    • Rochain Serge

    Malgré les difficultés l’Allemagne a le courage d’entreprendre la révolution énergétique et de se tenir à ses engagements, ce que nous ne savons pas faire en France. Malgré les critiques, malgré les insultes venant surtout de France, laquelle France a pu passer l’hiver sans problème grace notamment aux transfert d’électricité depuis l’Allemagne , elle tient son cap et ne peut que réussir sa transition vers le 100% renouvelable…. j’ai honte pour mon pays qui a pris des engagement qu’il a renié et s’est lancé maintenant dans une fuite en avant nucléaire que devront payer mes arrieres petits enfants.
    Serge Rochain, 81 ans.

    • Guy J.J.P. Lafond

    Merci M. Balendar pour votre lien didactique sur la consommation d’énergie moyenne par habitant en Europe. C’est très apprécié.
    Autrement, je rappelle que je suis un papa canadien qui a été forcé par des juges en Ontario de retourner vivre au Québec en 2016.
    En ce moment, je vis dans un petit appartement à Montréal, QC, ma ville natale.
    Je m’assure jour après jour de consommer juste l’énergie et les ressources naturelles requises qu’il faut pour assurer mes besoins essentiels.
    Je n’ai plus de voiture thermique depuis 2013. Je me déplace essentiellement à vélo, à pied et en métro. Quelle belle sensation de liberté et de propreté! Quand je dois sortir de la ville, j’ai recours à l’autobus, au covoiturage ou bien encore au train.
    Autrement et en ce qui concerne l’énergie consommée pour mon hygiène personnelle, des gens doivent savoir que je prends moins de douches, et quand cela se produit, c’est surtout après mon entrainement physique dans un centre sportif. Et comme de plus en plus de sportifs dans les douches, je me douche environ 30 secondes, je ferme ensuite l’eau, je me savonne bien les cheveux avec un shampoing doux, j’ouvre le robinet de nouveau 30 secondes pour me rincer. Je ferme le robinet encore une fois. Je me « reshampoingne » et je me savonne tout le corps. Je termine en me rinçant bien et en ne laissant pas ouvert le robinet plus que 30 secondes.
    Même si nous avons beaucoup de lacs, de rivières, d’eau potable au Québec et ailleurs au Canada, comprenez bien que je ne peux pas m’empêcher de penser à toutes les familles ailleurs sur cette si fragile planète qui ont très peu de ressources en eau potable.
    Je crois que nous devons tous faire un effort de guerre pour réparer le Climat.
    Et nous aurons gagné seulement quand les glaciers alpins auront recommencé à se former d’une année à l’autre.
    Cela prendra le temps qu’il faudra. @:-)
    Cordialement de Montréal, QC, Canada.
    Guy J.J.P. Lafond
    Un bon papa qui a très hâte de reprendre contact avec son enfant en Ontario, Canada.
    P.S.: je garde de très beaux souvenirs de mes excursions dans les Alpes. Merci1

    • Rochain Serge

     » l’Allemagne s’est retrouvée exposée aux scénarios les plus noirs, du risque d’arrêt de ses usines à celui d’être sans chauffage en plein hiver. »

    Mais le constat c’est que cet hiver, c’est l’Allemagne qui est venue au secours de la France dont le nucléaire défaillant a démontrer qu’il n’était certainement pas la solution.
    Cette démonstration allemande prouve aussi qu’ils avait un excédent de production supérieur aux 6% qui va leur manquer avec l’arret total de leur nucléaire. Ils n’ont aucune raison d’être inquiet….ce qui n’est pas le cas de la France qui ne se rend pas compte de sa triste et inquiétante situation au point que beaucoup pensent que c’est la France qui est venu au secours de l’Alleamgne cet hiver. Les messages du lobby nucléaire sont des crimes !
    Serge Rochain