En Irak, la « sobriété » énergétique redoutée par l’Europe, on vit déjà avec

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Un ouvrier irakien travaillant près de câbles électriques entremêlés dans une rue de Kerbala, le 3 octobre 2022 © AFP Sabah ARAR

Bagdad (AFP) – La précarité énergétique que l’Europe redoute cet hiver, Mohamed Jabr la vit depuis des décennies. Dans son Irak aux infrastructures ravagées par les conflits, pour avoir de l’électricité en continu on a recours au système D.

Depuis plus de 20 ans, générateurs de quartier et groupes électrogènes privés vrombissant dans toutes les rues du pays entre quatre et dix heures par jour durant les pics de consommation estivaux, reconnaît le ministère de l’Electricité.

« Sans les générateurs, tout l’Irak serait dans le noir », résume M. Jabr, retraité de 62 ans, dans son appartement du quartier pauvre de Sadr City à Bagdad.

« Ils nous fournissent l’électricité pour la télévision, le réfrigérateur, un rafraîchisseur d’air », poursuit cet ancien comptable de la fonction publique, qui paie 50 dollars par mois pour cette électricité d’appoint.

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Précarité ou sobriété énergétique, délestages et pénuries d’électricité: avec la guerre en Ukraine, l’envolée des prix de l’énergie et les flux de gaz russe qui se sont taris, les Européens se préparent à une situation inédite.

Outre les réductions d’éclairage public, les particuliers sont invités à plafonner leur consommation, en baissant le chauffage et les températures de cuisson par exemple.

Des habitudes qui font déjà partie du quotidien des 42 millions d’Irakiens, dans un pays pourtant très riche en pétrole mais miné par les guerres et la corruption endémique.

Car les abonnements aux générateurs privés ne permettent pas toujours de faire fonctionner toute la maisonnée.

« Selon l’abonnement, un client peut se voir contraint d’éteindre le réfrigérateur pour pouvoir faire fonctionner le climatiseur », explique Khaled al-Chablawi, qui travaille depuis 13 ans pour un service de générateur fournissant de l’électricité à 170 foyers.

M. Jabr ne s’émeut pas de l’extinction de la tour Eiffel à 23H45 au lieu de 1H00. Ou des illuminations de Noël sur les Champs Elysées, qui seront éteintes chaque soir dès 23H45 au lieu de 2H00.

« C’est normal. Dans nos quartiers, en cas de problème technique, le secteur peut rester un jour ou deux sans électricité, le temps que ça soit réparé », ajoute l’homme au crâne dégarni.

Il se souvient comment, immédiatement après l’invasion américaine qui renversa Saddam Hussein en 2003, « les maisons étaient plongées dans le noir ». Les bombardements avaient endommagé les infrastructures d’un secteur électrique déjà défaillant depuis la guerre du Golfe de 1991.

« On avait du courant deux ou trois heures (par jour) seulement », raconte-t-il. « Les gens avaient des générateurs individuels. Ils achetaient du carburant et ça fonctionnait un ou deux jours. »

Aujourd’hui les délestages sont moins fréquents dès l’arrivée de l’automne. En été, avec des températures dépassant les 50 degrés, la pression augmente sur les générateurs –et les tarifs des abonnements grimpent.

Pour pallier les pénuries, qui ont donné lieu à des manifestations sporadiques à l’été 2021, l’Irak, très dépendant du gaz et de l’électricité de l’Iran voisin, cherche à diversifier l’approvisionnement et à augmenter sa production.

Il produit désormais plus de 24.000 mégawatts (MW) par jour, selon le porte-parole du ministère de l’Electricité, Ahmed Moussa.

Un seuil « jamais atteint auparavant », ajoute-t-il. Mais pour éviter les coupures, il faudrait dépasser les 32.000 MW.

En attendant, en période estivale, la fourniture en électricité publique peut varier de 14 heures, 16 heures à 20 heures par jour, selon les régions, indique M. Moussa.

Sur une avenue de Sadr City, plusieurs groupes électrogènes privés se succèdent, gros moteurs et cuves de carburant dissimulés par un enclos en préfabriqués.

L’un d’eux alimente à lui tout seul 300 foyers et 300 boutiques.

Grimpant le long de poteaux, des câbles électriques courent dans tout le quartier.

Propriétaire d’un collège privé comptant environ 300 inscrits, Ali al-Aaraji, 58 ans, déplore les « sommes astronomiques » déboursées pour le générateur de son établissement. Environ 600 dollars par mois, dit-il.

« L’électricité est un problème éternel pour les Irakiens », regrette-t-il, fustigeant « l’occupation américaine ».

Si « les Irakiens sont capables de supporter cette situation depuis trois décennies », il s’interroge sur les répercussions de la crise en Europe.

« La source de la prospérité économique, c’est l’énergie. L’Europe est déstabilisée », résume-t-il. « Ca va affecter leur économie, leur industrie, leur commerce. Ils vont revenir en arrière. »

© AFP

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