Au Kosovo, jours tranquilles pour les anciens ours de restaurant

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Un ours brun au Sanctuaire des ours de Pristina, le 12 février 2021 à Mramor, au Kosovo © AFP Armend NIMANI

Mramor (Kosovo) (AFP) – Au Kosovo, des ours de restaurant libérés de leurs chaînes coulent des jours paisibles au milieu de montagnes aux cimes enneigées. Dans le jeune Etat où la défense de l’environnement est défaillante, le Sanctuaire des ours de Pristina veut incarner une protection réussie du patrimoine naturel.

« Dès le début, il était clair pour nous que sauver des ours n’était que la première phase d’un projet plus vaste, faire prendre conscience qu’il faut défendre le sauvage », explique Afrim Mahmuti, directeur du site verdoyant à l’est de la capitale Pristina.

« Le Kosovo nous appartient, son environnement aussi, nous en sommes responsables », ajoute-t-il.

Secourir des bêtes sauvages était loin d’être une évidence dans l’ex-province de Belgrade toujours minée par la pauvreté, la corruption et les crises politiques, 13 ans après l’indépendance.

Les questions environnementales ne sont pas prioritaires, comme en témoignent les sacs en plastique qui souillent arbres et cours d’eau ou la pollution de l’air qui empoisonne l’hiver les habitants des villes.

Mais le sanctuaire, situé dans le village de Mramor, accueille aujourd’hui sur 16 hectares vingt ours bruns des Balkans, qui à peine sortis de l’hibernation, s’ébrouent au soleil froid de l’hiver.

Le parc est né en 2012 de l’émoi de soldats autrichiens de la KFOR, la force de l’Otan déployée au Kosovo après la guerre contre les forces serbes. Alarmés par le sort cruel des ours emprisonnés pour l’amusement des clients de restaurants, une pratique populaire après le conflit, les soldats avaient alerté leur ambassade.

Ils s’étaient particulièrement émus par le sort de Kassandra, abandonnée devant un restaurant fermé du sud du pays, se souvient aujourd’hui Roswitha Brieger, épouse de l’ancien ambassadeur d’Autriche à Pristina Johann Brieger et l’une des chevilles ouvrières du projet.

L’ourse, qui allait devenir la première pensionnaire du sanctuaire, « était dans un état déplorable, dans une cage en métal pas plus grande que 2×3 mètres, exposée aux éléments sans protection », dit-elle à l’AFP.

Durant de longs mois, elle n’avait survécu dans ses excréments que grâce à la nourriture apportée par des âmes charitables.

Les autorités locales furent saisies et elles s’accordèrent avec l’ONG autrichienne Four Paws pour créer un refuge sur des terrains cédés par la municipalité de Pristina, la capitale.

Les ours furent confisqués à leurs propriétaires hostiles dans des conditions tendues, sous haute protection d’unités spéciales de la police soutenues par la KFOR, raconte à l’AFP Dardan Gashi, ministre de l’Environnement de l’époque.

« Certains propriétaires étaient membres de l’ancienne guérilla (indépendantiste), ils se croyaient invulnérables et imaginaient qu’on n’oserait pas y aller », dit-il. « On a eu un cas terrible à Mitrovica (nord) lorsqu’un propriétaire prévenu (…) a tué trois ours avant qu’on arrive ».

Avant leur transfert, il fallait endormir des bêtes parfois rendues accros à l’alcool que leur donnait les restaurateurs. « Elles étaient très agressives. Ils était tous agressifs, les propriétaires et les ours », rigole-t-il.

Mustafe Gashi, 57 ans, gardien affable des plantigrades, se rappelle de l’arrivée de Kassandra, début 2013. Il avait dormi un temps à côté du préfabriqué où elle était logée en attendant la fin des travaux de construction du site.

S’il est surnommé « Papa ours » pour sa dévotion aux bêtes, il n’en a pas toujours été ainsi. « Quand j’étais enfant, les (adultes) nous faisaient peur en nous racontant que les ours allaient nous manger », déclare-t-il à l’AFP.

Il a depuis nourri au biberon trois oursons dont la mère avait été tuée. « Jamais de la vie je n’aurais imaginé tenir un ours dans mes bras et l’élever comme mes enfants », ajoute-t-il, expliquant « ne s’être jamais occupé » de ses deux fils « comme il s’est occupé des ours ».

Le site, où chaque plantigrade dispose d’un vaste enclos, d’une tannière artificielle et d’une mare pour se baigner, attire les visiteurs: en 2019, avant le coronavirus, 40.000 personnes sont venues s’éduquer à la nature, dont de nombreux écoliers.

Le sanctuaire emploie une trentaine de personnes et son fonctionnement (environ 400.000 euros annuels) est financé en bonne partie par Four Paws.

Depuis 2014, il n’y a plus d’ours détenus au Kosovo, où la population sauvage est estimée à une petite centaine d’individus, selon Afrim Mahmuti, dont le prochain projet est de trouver une nouvelle maison pour un lion et des loups détenus illégalement.

De l’avis de beaucoup, le sanctuaire est un exemple rare de projet réussi.

« Il fallait fournir aux ours un environnement approprié, ce qui a clairement marché quand on a vu Kassandra hiberner la deuxième année », souligne Roswitha Brieger.

« C’est une success story », résume Milot Kurshumlia, écologiste de 39 ans, plaidant pour que ce ne soit « pas la dernière ». « On voit combien l’interaction entre institutions, société civile et défenseurs de la faune est utile ».

© AFP

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