Drôles d’animaux ! Le rat-taupe nu, ce rongeur qui ne vieillit pas

Le rat-taupe nu évolue dans certaines régions arides du globe.
Smithsonian’s National Zoo/Flickr, CC BY-NC-ND

Bernard Sablonnière, Université de Lille

Drôle d’animal, le rat-taupe nu. Nommé hétérocéphale, il a la taille d’une grosse souris et vit dans des galeries souterraines des régions arides d’Éthiopie et du Sud saharien. Dépourvu de poils, il vit en colonie et ne remonte jamais à l’air libre.

Sa longévité est exceptionnelle : 25 ans en moyenne, avec un record de 32 ans ; soit cinq à six fois plus longue que celle du rat ou de la souris. Au-delà de ce record qui intrigue les chercheurs, le rat-taupe nu intéresse grandement les gérontologues, cet animal ne présentant quasiment pas de signes de vieillissement jusqu’à sa mort !

Autant de caractéristiques qui en font un modèle d’étude très prisé des scientifiques pour mieux comprendre les mécanismes du vieillissement humain.

Tel un moine du sous-sol

D’une allure peu attirante, il possède de petits yeux et de grandes incisives, son alimentation se composant de racines, tubercules et insectes souterrains. Sa peau, très souple, s’organise en de larges rides, ou plus exactement de replis, dès son plus jeune âge – cet aspect restant inchangé toute sa vie. Au cours de cette période, il conserve une même activité physique et ne présente aucune modification du comportement.

Sa vie sociale est très organisée. Il évolue au sein de colonies comptant de 60 à 100 individus, organisées autour d’une seule femelle, « la reine », s’accouplant avec un, deux ou trois mâles au maximum, et donnant des portées de ratons pendant plus de 17 ans en moyenne.

Le reste de la colonie, mâles et femelles, ne présente aucune activité sexuelle ! Ces derniers adoptent un comportement pro-social et se dédient aux soins des ratons nouveau-nés de chaque portée de la reine. Évoluant en permanence dans son abri souterrain, le rat-taupe nu n’a pas de prédateur. Les rares combats qui surviennent concernent des mâles, pour certains en fin de vie.

Étude du rat-taupe nu en laboratoire.
Al Pavangkanan/Flickr, CC BY

Étranger aux maladies de l’âge

Le rat-taupe nu est aujourd’hui le seul mammifère connu dont le taux de mortalité, très faible, reste inchangé au cours des 15 premières années de sa vie. La ménopause survient le plus souvent après 18 ans chez les femelles, les mâles pouvant procréer jusqu’à l’âge de 20 ans. Ils sont curieusement résistants à la plupart des maladies liées au vieillissement observées chez les autres rongeurs.

Il ne présente ainsi presque jamais de cancer, contrairement à ce que l’on observe chez la majorité des rats et des souris. Cette résistance au cancer reste encore une énigme pour les chercheurs, qui toutefois détiennent une piste pour l’expliquer. Les cellules du rat-taupe nu fabriquent en effet un composé – l’hyaluronane – qui bloque un excès de division des cellules lors de l’apparition d’une petite tumeur.

Son ADN est également très résistant à l’effet des mutations, ses cellules disposant de mécanismes de réparation nettement plus performants que les cellules humaines. Il développe enfin très rarement des troubles articulaires.

Une physiologie énigmatique

La force musculaire des rats-taupes nus reste intacte jusqu’à leur 25 ans environ, avec une activité physique inchangée au fil des ans. L’élasticité de leurs vaisseaux sanguins est étonnante et ne s’altère pas avec l’âge. La densité osseuse reste élevée presque jusqu’à leur mort. Leur peau, très souple et bien hydratée, possède une capacité de cicatrisation rapide, bien qu’exposée à des griffures provoquées par des racines ou le sol caillouteux de leurs galeries. Elle résiste aux infections tout au long de la vie de ces petits rongeurs.

Cette caractéristique, qui intéresse particulièrement les dermatologues, tient à l’hyaluronane, molécule aux propriétés remarquables présente en grande quantité dans la peau du rat-taupe nu.

Curieusement, leur sensibilité à la douleur est très basse. Ils sont quasiment insensibles aux brûlures provoquées par la chaleur, l’acide, ou encore la capsaïcine du piment rouge ! Ils ne perçoivent que faiblement le ressenti d’une douleur inflammatoire, gage d’un maintien en bonne santé tout au long de leur existence.

« Le secret antidouleur des rats-taupes nus » (Le blob, 2019).

Enfin, habitué à un régime alimentaire sobre, riche en tubercules et en racines, il ne présente jamais de surpoids et maintient journellement une activité physique régulière en courant dans un réseau de galeries dépassant souvent la centaine de mètres.

Leur comportement ne témoigne que très rarement d’agressivité – leur rythme cardiaque s’avère plus lent que celui des rongeurs de leur taille (ils vivent dans une atmosphère appauvrie en oxygène).

Des cellules première classe

Pour les biologistes, le secret de la longévité de cet animal tient sans doute à l’extraordinaire qualité de ses cellules. Soumises à une température constante et un taux d’oxygène faible, sans excès alimentaire, elles ne souffrent pas de l’effet des radicaux oxydants ; leurs protéines restent ainsi d’une très bonne qualité, résistant bien à l’usure des années, contrairement à ce qui se passe chez l’homme.

Animal laid, glabre et presque aveugle, le rat-taupe nu défie le chercheur par son adaptation si étonnante à son milieu et son aptitude à résister à l’usure du temps. Espérons que l’homme pourra mieux comprendre sa physiologie unique pour tenter de la copier et, peut-être, de rendre sa vieillesse plus supportable…


Bernard Sablonnière a fait récemment paraître « L’Espoir d’une vie longue et bonne », aux éditions Odile Jacob (2018).

Bernard Sablonnière, Neurobiologiste, professeur des universités − praticien hospitalier, faculté de médecine, Inserm U1172, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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