Témoignage : j’ai vécu l’explosion du coronavirus depuis une petite ville du nord-est de la Chine

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Un contrôle de température des passagers à l'entrée d'une gare de Pékin. En raison de l'épidémie de Coronavirus qui sévit en Chine, la température de tous les passagers des transports en commun est mesurée avant de prendre un train, un métro, un bus ou un avion afin de s'assurer qu'ils n'ont pas de fièvre. © Noel Celis / AFP

Dire que l’on rentre de Chine signifie accepter le risque de se faire ostraciser en raison de l’épidémie de coronavirus en cours, c’est aussi l’occasion de raconter le peu qu’on a vu et vécu du 2019-nCoV, ce virus qui défraye la chronique. Plus de 30 000 personnes sont contaminées et le nombre de malades décédés dépasse les 800. Au-delà des chiffres et du sentiment de psychose se cachent des histoires et aussi des enjeux sanitaires, politiques et sociétaux.

Cette maladie constitue un risque évident pour la santé. La loi de la proximité de l’information tend à faire que certains aspects humains du drame en cours touchent  moins du fait de la distance et du fossé culturel existant. Derrière les chiffres, en augmentation constante, se trouvent autant de tragédies humaines : des décès, des gens malades, des personnes confinées, isolées et mises en quarantaine, des êtres humains qui perdent leurs proches ou les voient souffrir. Aux sentiments d’angoisses et d’inquiétudes s’ajoutent une ambiance crépusculaire dans un pays où les rues sont habituellement vivantes et remplies d’activités. Ne l’oublions pas, derrière les chiffres et malgré la distance, ce sont des êtres humains qui font face à une crise sanitaire d’ampleur.

Un virus qui gâche une période festive

Je reviens pourtant de l’Empire du Milieu par des vols commerciaux réguliers après y avoir passé quelques jours pour le Nouvel An lunaire. J’étais dans une petite ville du Nord-Est (approximativement 400 000 habitants), située à plus de 2000 kilomètres de Wuhan. Le coronavirus était perceptible dans la vie de tous les jours et dans les esprits. Son arrivée a perturbé toute l’organisation sociale, sorte de répétition d’un mini-effondrement pour reprendre un terme à la mode.

J’ai suivi au jour le jour l’évolution de l’épidémie avec tous les matins, à 8 heures, le décompte officiel remis à jour. Il concerne toute la Chine la province et même la préfecture. En deux semaines, les chiffres ont explosé et la vie quotidienne s’en est trouvée profondément bouleversée. Y compris là où je me trouvais, perdu entre Harbin (Heilongjiang, au nord-est de la Chine) et Vladivostok (l’extrême-orient russe). Inexorablement, l’épidémie s’est peu à peu rapprochée pour passer de phénomène un peu lointain à une réalité tangible.

Migration de masse, un facteur indéniable de dissémination du coronavirus

Des centaines de millions de Chinoises et Chinois rentrent chez eux pour le Nouvel An. C’est parfois la seule période de l’année durant laquelle ils passent du temps en famille. C’est un moment sacré immanquable pour la majorité de la population. Le Nouvel An lunaire s’avère un moment capital dans la vie du pays : retrouvailles familiales, espoirs pour l’année à venir, frénésie d’achats avant la fête, grands repas. Il s’agit dans la culture chinoise de bien plus que des jours de congés. Cette année, la fête a été gâchée par le virus, qui a plombé l’ambiance. Invité surprise, il a profité de cette migration de masse pour s’installer un peu partout dans le pays et dans le monde. L’année du rat n’a pas démarré normalement avec la mise en quarantaine de Wuhan et le renforcement progressif des mesures de prévention de l’épidémie de 2019-nCoV –partout dans le pays.

L’épidémie témoigne du fait que la Chine est aujourd’hui au cœur de la mondialisation, que le pays est devenu une société moderne où la mobilité interne comme externe fait partie du quotidien. Les capitaux, les marchandises, les femmes et les hommes et donc les maladies voyagent… À cela s’ajoute une culture de la ville dense avec un habitat collectif… autant de paramètres qui renforcent le coté anxiogène de cette pandémie.

En une dizaine jours, les rues de la ville où je me trouvais se sont vidées. À la veille des festivités, les habitants affluaient dans les magasins, les rues étaient noires de monde. Quelques jours après le jour de l’An, au moment où la vie normale aurait dû reprendre, la ville était devenue fantomatique. Très très peu de personnes s’aventuraient dehors, une circulation automobile quasi à l’arrêt, des gens portants leurs masques, des camions diffusant à coup de haut-parleurs des appels à rester confiné chez soi. Dans le même temps, sur les portes des immeubles, dans les rues fleurissent les slogans et les messages d’alerte. L’un des plus marquants disait :  “串门就是互相残杀,聚会就是自寻短见” ce qui peut se traduire ainsi par « Se rendre visite, c’est s’entretuer. Se rassembler, c’est chercher sa mort », message très fort à une période où les gens se rendent mutuellement visite pour se souhaiter la bonne année.

Il y avait une ambiance de fin du monde. Rues désertes, claquements de pétards incessants, j’aurais pu tourner un reportage dans une ville assiégée ou subissant une invasion de zombis. Un soir, je suis sorti arpenter les rues de la ville. D’habitude le rude climat continental avec ses températures allant aisément jusqu’à moins 20 degrés Celsius ne dissuade pas les locaux de sortir. Cette fois-ci, il n’y avait pour ainsi dire personne et tous les rideaux des commerces et des restaurants étaient baissés. Ils le sont restés jusqu’à mon départ, hormis les pharmacies et les commerces alimentaires. Ils le demeurent encore au moment d’écrire ces lignes. Ville en léthargie. Ville aussi en proie à ses craintes avec la vente de tous les stocks de masques, certains médicaments dévalisés en raison de fausses informations sur leur efficacité contre le virus, et bien sûr un début de pénurie de carburant du fait de la ruée vers les pompes. Tous ces éléments sont constitutifs d’un scénario d’effondrement. Mais, nous sommes en Chine, pays où l’État reste fort, c’est un enjeu de la crise actuelle du coronavirus, nous y reviendrons, donc l’approvisionnement reste assuré pour les supermarchés.

2019-NCov : 28 jours plus tard

Voilà pour décrire l’ambiance de la ville où la fin du séjour s’est limitée à rester confiner dans un appartement à guetter les informations parfois contradictoires qui arrivaient et à s’organiser pour maintenir le retour prévu tout en rassurant la famille. La crise génère ses peurs et leurs lots de rumeurs, d’informations contradictoires, de stress. Est-ce qu’il y a des gens revenus de Wuhan ? Ils ont pris tel ou tel train. Ils se sont rendus à tel ou tel endroit… Dans la ville, des suspicions de cas ont été signalées, puis confirmée. Des personnes ont été recherchées et des résidences mis à l’isolement avec la venue de la police et d’agent en combinaison jaune de protection intégrale… Ils venaient chercher des travailleurs revenus de Wuhan. Les réseaux sociaux chinois regorgent d’informations sur le parcours des potentiels malades.

La menace fait d’autant plus peur qu’elle est invisible. Elle peut donc être omniprésente d’autant plus que son danger est connu. Les chiffres de contamination en hausse constante font que le 2019-NCoV est passé du statut d’un danger lointain à celui d’un vrai risque tangible. Quand les autorités annoncent 1400 cas vers le 25 janvier cela fait une possibilité sur un million d’être malade à l’échelle de la Chine et de son 1,4 milliard d’habitants. Aujourd’hui, c’est plutôt un cas pour 50 000 habitants. Ensuite, les chiffres de mortalité parlent d’eux même entre 2 et 4 %. Sur le papier cela semble faible, mais qui monterait dans une voiture ou un avion si ce dernier avait une probabilité de 1 % d’avoir un accident mortel ?

La question du départ de la ville se posait car la date de retour approchait. En effet, les transports ont commencé à se réduire avec l’instauration d’une sorte de couvre-feu avec interdiction de sortir et de circuler pour les voitures avec la mise en place de barrage aux carrefours avec des bus, bottes de foin et autres tas de glace pour bloquer le passage. Aux doutes sur la possibilité de quitter le pays se sont ajoutés ceux sur la possibilité de quitter la ville. Il a fallu passer du temps au téléphone pour être certain d’avoir un vol retour, un billet de train pour sortir de la petite ville et arriver jusqu’à un aéroport…

Dernier train pour Busan Harbin

Les restrictions de circulation se faisaient de plus en plus fortes : il était enfin temps de partir. Le trajet jusqu’à la gare s’est fait le soir, de nuit, en marchant au milieu des avenues dans une ville sans voiture (sans doute ironiquement la première journée sans voiture de cette petite ville du nord-est de la Chine)… Une fois à la gare, avant de monter dans le train de nuit, des agents vêtus de combinaisons intégrales avec masque de protection ont contrôlé deux fois la température des passagers, une fois pour pénétrer dans l’enceinte de la gare et une seconde fois avant de monter dans le train de nuit. Dans la cabine couchette, les quatre passagers, dont moi, ont tous dormi avec leur masque médical sur le visage. Et re-vérification de température corporelle à l’arrivee à Harbin le matin… et la même chose à l’aéroport…

Au lendemain du départ, alors que l’activité économique de cette petite ville du Heilongjiang n’a pas encore redémarré, les habitants ont reçu pour consigne de désigner une seule et unique personne par foyer qui a le droit de sortir se ravitailler une fois tous les deux jours. Et les allers et venues doivent systématiquement être consignées…

Que retenir ?

Le fait d’avoir passé 9 jours quasiment confiné dans un appartement laisse du temps pour réfléchir un peu quand on n’est pas occupé au téléphone entre les compagnies aériennes, les assurances et le consulat. L’impression que le virus est une sorte d’hydre dont une tête repousse toujours perdure.

Des enjeux politiques

C’est une évidence, mais il convient de le rappeler, un des enjeux majeurs du coronavirus pour les autorités chinoises et des autres pays : garantir la sécurité et la santé des concitoyens. L’enjeu est d’autant plus fort pour la Chine que le pays est désormais la seconde économie mondiale et se veut un pays développé et moderne. La protection de la population est d’autant plus forte qu’elle fait partie du contrat social chinois et que de facto les autorités veulent éviter d’avoir à faire face à un « Tchernobyl chinois » qui nuirait à leur crédibilité et surtout à la légitimité du régime. Cette volonté de protection passe aussi par la justification des systèmes mis en place pour le contrôle de masse de la population avec les traçages grâce aux smartphones, aux caméras ou à la nécessité de toujours devoir passer des contrôles de sécurité ou d’identité dans les transports. Ce contrôle de masses revêt une autre dimension dans la mesure où la menace de l’épidémie provient de Chine même alors qu’une grande partie des médias officiels du pays tend habituellement à présenter l’étranger comme une menace. Cette crise présente aussi un coup dur pour la confiance envers les autorités et questionne le rôle des lanceurs d’alertes dans une société où la libre-expression se révèle (c’est un euphémisme) difficile. Le docteur Li Wenliang avait donné l’alerte très tôt, mais a été réprimandé par la police et accusé par les autorités de propager des fausses informations. Sa mort a bouleversé la population chinoise et suscite des interrogations sur la manière dont le début de la crise sanitaire a été géré à Wuhan.

L’épidémie étant encore en cours, il est difficile de tirer des leçons sur la gestion de crise, et d’évaluer le degré de transparence affichée par les autorités chinoises. Toujours est-il que le pays a pu prendre des mesures exceptionnelles dont la mise en quarantaine de plusieurs millions de personnes.

Pour la population, les effets de cette crise sont tangibles, elle monopolise les esprits, les médias et les conversations. On est loin d’un effondrement puisque les autorités assurent toujours leurs missions et la vie se poursuit mais différemment. Il faut garder en tête que la Chine est un immense territoire aux situations très variées entre des campagnes isolées et des métropoles rutilantes et modernes. Les conséquences de l’épidémie se répercutent aussi sur l’économie avec une période de ralentissement voire d’arrêt qui peut se traduire peut-être par une réduction temporaire de la pollution, une mini crise décroissance laissant du temps aux gens et éventuellement un mini baby boom à certains endroits où les habitants doivent rester enfermés. Il est aussi probable que la crise sanitaire entraîne des changements dans l’hygiène des populations chinoises surtout dans les campagnes et les petites villes avec un souci accru de la propreté. Il faudra du temps pour mesurer toutes les répercussions directes et indirectes du Coronavirus dans le monde et surtout en Chine pendant ce temps le sujet restera encore d’actualité quelques mois. Et, l’une des conséquences les plus tonnantes pourrait bien être que le peuple chinois demande des comptes à ses dirigeants sur cette crise et sa gestion. Et que de facto, cette exigence s’étend à d’autres sujets comme la pollution, la santé, l’économie, les libertés et les conditions de vie.

Julien Leprovost

 

4 commentaires

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    • Thebible

    Superbe analyse, réfléchie, humaine et hors polémique ou panique

    • sophie l

    Je ne suis pas amie avec les théories du complot mais je pense que la façon , extrêmement cruelle trop souvent, dont les Chinois traitent les animaux qu’ils vont manger ou dont ils veulent utiliser une partie( corne, écaille, etc…) pourrait être en lien avec l’ apparition de ce virus.

    Ce qui ne serait finalement qu’un juste retour de bâton.

    J’ attends avec impatience de lire la position des scientifiques animalistes sur le sujet.

    • Michel CERF

    Le problème vient essentiellement des élevages intensifs ou les animaux sont mal nourris et maltraités , les virus ont traversé toute les époques , par diverses voies , animaux malades , moustiques ect. mangeons beaucoup moins de produits animaux pour la planète et notre santé mais un minimum est indispensable pour éviter les carences , d’ailleurs une viande saine ne peut contaminer l’humain d’autan qu’elle est cuite . Quand PETA préconise un régime VEGAN aux animaux de compagnie on est au sommet de la connerie !