Dunkerque (AFP) – Ils en sont convaincus, la gratuité des transports en commun est vouée à se généraliser: réunis à Dunkerque, dernière agglomération à avoir sauté le pas, les partisans des villes où tickets et contrôleurs ont disparu entendent combattre les « clichés » et défendre leur système.
« C’est une politique peut-être exceptionnelle, mais qui existe bel et bien (…). Il y a une volonté d’en faire un modèle », analyse Wojciech Keblowski, chercheur à l’Université Libre de Bruxelles, en marge des premières rencontres françaises organisées sur le sujet lundi et mardi dans la ville portuaire du Nord.
Selon les chiffres de ce spécialiste des mobilités, en 2017, les transports en commun étaient totalement gratuits – pour tous, tout le temps – dans 98 villes dans le monde, dont 27 aux Etats-Unis, 11 en Amérique du Sud, 1 en Australie, 3 en Asie, 56 en Europe. Contre une seule en 1970 et 60 en 2010.
Cette démarche radicale suscite de l’intérêt: 300 élus, chercheurs, associations d’usagers français et étrangers se sont déplacés pour visiter l’agglomération nordiste, 200.000 habitants, où roulent depuis samedi des bus « 100% gratuits, 7j/7 ».
« Au Brésil, on a de gros problèmes de ségrégation sociale et spatiale, mais le débat sur la gratuité est caricatural, plein de clichés », raconte Rafael Calabria, de l’Institut brésilien de défense des consommateurs.
En France, le nombre de collectivités locales, de droite comme de gauche, qui ne font plus payer continue d’augmenter depuis le début des années 2000. On compte désormais entre 20 et 30 réseaux gratuits – selon les critères retenus -, dont Gap, Niort, Figeac, Castres.
« C’est un changement de cap, de modèle dans l’appréhension de la mobilité, » estime Maxime Huré, maître de conférence à l’université de Perpignan, fustigeant des oppositions purement « idéologiques ». « C’est une politique publique globale qui répond à différents objectifs très importants d’un point de vue économique, social et environnemental », poursuit celui qui préside aussi l’association Vigs, qui conseille Dunkerque.
Avec le recul, les élus concernés n’y voient – presque – que des avantages. Ils rejettent l’argument de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) et de la FNAUT qui estiment que la gratuité est souvent « associée en France à l’absence de valeur et, par ricochet, au manque de respect ».
« On a moins de dégradations : plus personne n’est en infraction, il n’y a pas cette peur du contrôle, les chauffeurs sont plus à l’aise », détaille Gil Averous, maire Les Républicains de Châteauroux, 78.000 habitants, invité à témoigner d’une « politique de pouvoir d’achat et de redynamisation du centre ville » instaurée en 2001.
A Aubagne (Bouches-du-Rhône), les actes de vandalisme ont baissé, la fréquentation triplé et la part de la voiture dans les déplacements stagné, selon Sylvia Barthélémy, présidente UDI du Conseil du territoire qui promeut la pérennité d’une mesure adoptée en 2008 par une majorité… communiste. « A l’époque, j’étais dubitative, j’avais des appréhensions injustifiées ».
Pour M. Keblowski, la hausse de fréquentation s’observe partout, l’inclusion sociale aussi. Le report modal de la voiture aux transports en commun – et l’amélioration de l’air qui va avec – semble cependant encore ténu: à Tallin, où la gratuité prévaut depuis 2013, il n’est selon lui que de 5%.
Reste la question épineuse du financement. « La billetterie représentait 10% du coût total (soit 4,5 millions, compensé par l’augmentation d’une taxe payée par les entreprises et des arbitrages budgétaires), c’est abordable », reconnaît Patrick Vergriete, président de la communauté urbaine de Dunkerque. « Dans des villes, ce coût est plus important, c’est plus compliqué. »
La réflexion est néanmoins lancée dans plusieurs grandes agglomérations, comme Amiens et Grenoble. « Ca va être très clairement un enjeu des prochaines municipales », prédit Cyril Cineux, adjoint communiste au maire de Clermont-Ferrand. « Il y a une prise de conscience écologique, un besoin de mesures de grande ampleur ».
En Ile-de-France, la maire de Paris Anne Hidalgo (PS) a proposé d’y réfléchir pour les habitants de la capitale, au grand dam de sa rivale Valérie Pécresse (LR), présidente de la région qui attend les conclusions d’un rapport fin septembre.
© AFP
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SIVARDIERE JEAN
Contrairement à ce qu’affirment un peu vite les défenseurs de la gratuité, la FNAUT n’utilise pas le risque de manque de respect et de vandalisme, qui est effectivement marginal, pour critiquer cette mesure. Elle reconnait volontiers les avantages de la gratuité à court terme (encore que la hausse de la fréquentation soit peu significative car la fréquentation initiale des bus est très faible dans les villes qui instaurent la gratuité).
C’est à moyen terme que les problèmes apparaissent : non seulement la gratuité attire très peu les automobilistes (à Niort, où les transports sont gratuits, la part modale de la voiture reste supérieure à 80 %), mais elle coûte très cher, et son maintien se fait inévitablement au détriment de l’amélioration de l’offre, qui reste médiocre, et des investissements nécessaires. L’exemple de Bologne est instructif : la gratuité y a été instaurée dans les années 1970, suscitant un grand intérêt puis, trop coûteuse, elle a dû être abandonnée. Bologne dispose aujourd’hui d’un remarquable réseau de transport urbain et périurbain qui n’aurait jamais vu le jour si la gratuité avait été pérennisée.
JEAN SIVARDIERE
Contrairement à ce qu’affirment un peu vite les partisans de la gratuité, la FNAUT n’utilise pas l’argument « manque de respect et vandalisme » pour critiquer la gratuité, ces phénomènes étant marginaux. Par ailleurs, elle reconnaît volontiers les avantages de la gratuité à court terme (encore que la hausse de la fréquentation des bus ne doive pas faire illusion, la fréquentation de départ des bus étant très faible dans les villes qui instaurent la gratuité.
C’est à moyen terme que les difficultés apparaissent. Non seulement la gratuité attire très peu les automobilistes, mais elle coûte très cher, ce qui entrave inévitablement l’amélioration de l’offre, qui reste médiocre, et les investissements nécessaires. A Bologne, la gratuité a été adoptée dans les années 1970, ce qui avait à l’époque suscité beaucoup d’intérêt. Elle a finalement été abandonnée en raison de son coût excessif. Bologne dispose aujourd’hui d’un remarquable réseau de transport urbain et périurbain qui n’aurait jamais vu le jour si la gratuité avait été pérennisée.