Paris (AFP) – Un « casse du siècle » « inédit, démesuré »: le Parquet national financier a requis mardi 10 à 12 ans de prison à l’encontre des principaux acteurs d’une fraude colossale à 385 millions d’euros à la « taxe carbone », dénonçant une « atteinte aux intérêts de la Nation ».
Trente-six prévenus sont jugés par le tribunal correctionnel de Paris depuis fin janvier pour avoir dérobé 385 millions d’euros au fisc, un montant « hors normes, démesuré », ont insisté les deux procureurs du PNF.
Un « butin au caractère totalement inédit » que les représentants de l’accusation ont tenu à comparer à ceux, bien moindres, de « casses du siècle » rapportés par la presse: 11 millions détournés par le convoyeur Toni Musulin, 103 millions d’euros de bijoux dérobés au Carlton de Cannes…
« A ce niveau, nous sommes confrontés à de véritables atteintes aux intérêts de la Nation », ont insisté les magistrats, rappelant à titre d’exemple que l’opération Sentinelle avait coûté 321 millions en 2015-2016.
La fraude à la « taxe carbone », nouée entre 2008 et 2009 sur le marché des droits à polluer, fonctionnait sur le modèle d’une simple escroquerie à la TVA. Elle a coûté au total 1,6 milliard d’euros à l’État.
Ce dossier, son volet record, prend racine dans le quartier marseillais du Panier et s’étire entre une myriade de sociétés écrans et comptes offshores.
Les prévenus, avec « 223 comptes bancaires » dans « 25 pays », ont tissé selon le PNF « en quelques semaines une toile de sociétés dans le monde entier », qu’il aura fallu « dix ans » pour dénouer.
Les magistrats ont identifié « trois principaux responsables »: Christiane Melgrani et Gérard Chetrit, qui comparaissent détenus, et Éric Castiel, visé par un mandat d’arrêt.
Au cœur du dossier, Christiane Melgrani, 59 ans, qui fut surnommée « Ma Dalton » dans la presse, risque le plus gros: le parquet a demandé contre elle 12 ans d’emprisonnement et 10 millions d’euros. En récidive, l’ex-enseignante charismatique devenue gérante d’un piano-bar puis « ingénieure commerciale » dans une société de bâtiment avait déjà été condamnée pour trafic de drogue.
La sexagénaire reconnaît avoir participé à une phase « test » de l’escroquerie et au blanchiment, mais le PNF estime qu’elle a aussi contribué à mettre en place l’escroquerie proprement dite, commise via deux courtiers sur le marché des « quotas carbone ».
Elle a en outre « dirigé la partition que devaient jouer les uns et les autres », selon l’accusation. Durant les débats, ses coprévenus n’ont semblé ne livrer des noms qu’avec son accord.
L’accusation a demandé dix ans de prison et 20 millions d’euros d’amende pour le financier Gérard Chetrit, « trader » de la fraude au train de vie fastueux: « Peut-il exister des escroqueries en bande organisée plus graves que celle pour laquelle il est jugé ? »
Dix ans de prison et 5 millions d’euros d’amende ont été requis contre Éric Castiel, « trait d’union » entre les deux premiers.
Des peines allant du sursis à 7 ans de prison ont été demandées contre les 33 autres prévenus, soupçonnés à divers degrés d’avoir participé à la fraude ou à son blanchiment en se faisant investisseurs, gérants de paille, intermédiaires…
Parmi eux figure un avocat, Arié Goueta, contre lequel 5 ans de prison, 500.000 euros d’amende et une interdiction définitive d’exercer ont été requis. Comme lui, d’autres professionnels, expert-comptable, promoteur, ont « trahi les règles du monde des affaires », a estimé le parquet.
Contre Grégory Zaoui, familier des dossiers « carbone », en fuite, sept ans et un million d’euros d’amende ont été requis. Et contre Angelina Porcaro, compagne de Christiane Melgrani, dont le restaurant « La Cantinette » a vu transiter intrigues et billets de banques, cinq ans et 150.000 euros.
Les prévenus n’ont eu de cesse de « mentir, fuir leurs responsabilités ou accabler les morts », notamment Samy Souied, abattu en 2010 à Paris dans un probable règlement de comptes lié à la « mafia » du carbone, ont dénoncé les procureurs.
Les plaidoiries de la défenses doivent s’échelonner jusqu’au 30 mars.
© AFP
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