États-Unis : à Bakersfield, des « familles brisées » par les violences policières

Bakersfield (Etats-Unis) (AFP) – Le 13 novembre 2014, James De la Rosa, 22 ans, a été abattu par des policiers de Bakersfield, ville rurale au coeur de la Californie. Il n’avait ni arme ni casier judiciaire.

« Je suis détruite », « c’était un garçon bien (…) avec un bel avenir », sanglote sa mère Leticia dans le cimetière où il est enterré, un portrait de James souriant dans les bras.

Pour son cousin Joe Arambulo, James est mort « pour rien », comme des dizaines de personnes tuées ces dernières années par « l’une des polices les plus létales » des Etats-Unis, comparé à des villes dix fois plus peuplées comme New York ou Los Angeles, selon la grande association américaine de défense des droits civiques ACLU.

Les violences policières ont fait les gros titres à travers les Etats-Unis ces dernières années: à Ferguson, New York ou Baltimore entre autres, des hommes noirs sans armes ont été tués par des agents souvent blancs, déclenchant manifestations, voire émeutes.

Loin de l’attention médiatique, dans le comté de Kern où se trouve Bakersfield, au moins 29 personnes sont mortes de tirs de policiers depuis 2013, d’après l’ACLU. Les familles de victimes en décomptent 38 sur la période dans toute la zone, 14 rien qu’en 2015.

Une année noire que l’avocat du comté, Mark Nations, qualifie « d’anomalie statistique », ajoutant que le shérif de Kern n’a pas eu à déplorer de décès lors d’interventions depuis.

De son côté, la police de Bakersfield, à l’origine de quatre morts au moins depuis 2016, a refusé de répondre aux questions de l’AFP, citant une enquête en cours du procureur de Californie – après une enquête fédérale en 2003.

Dans un rapport accablant, l’ACLU dénonce un « schéma de recours excessif à la force » dans la région – tirs, passages à tabac, attaques de chiens – et d’intimidations », souvent « au-delà de ce qui était nécessaire, particulièrement sur des individus non armés » ou handicapés.

Le cas en 2016 d’un homme de 73 ans atteint de démence a particulièrement ému: il n’avait qu’un crucifix dans la poche que les policiers disent avoir pris pour une arme.

La majorité des personnes tuées ou blessées sont hispaniques ou noires tandis que la police de Bakersfield est à majorité blanche. Un petit nombre d’agents est lié à de multiples incidents, d’après l’ACLU.

L’un d’eux était ainsi présent lors de la mort de James De La Rosa et de deux autres victimes, Jorge Ramirez et Jason Alderman.

Ce dernier a forcé la porte-fenêtre d’un fast-food avec un cric un soir d’août 2015. N’ayant pas trouvé d’argent, ce père de deux garçons, âgé de 29 ans, a fait demi-tour et s’apprêtait à sortir lorsqu’il a été touché par environ sept balles de policiers.

Ces derniers ont dit que M. Alderman avait levé son cric vers eux, confondu avec un fusil. Une vidéo de surveillance montre toutefois l’homme s’accroupissant pour passer par la porte-fenêtre lorsqu’il est propulsé en arrière par les coups de feu.

Jorge Ramirez avait 34 ans et cinq enfants lorsqu’il est mort il y a quatre ans, criblé de balles de policiers. Il était en liberté surveillée et avait accepté de jouer un rôle d’informateur pour amener des agents vers un suspect recherché. L’opération s’est terminée en bain de sang sur un parking.

 

M. Ramirez n’avait pas d’arme et « s’attendait à ce que la police le protège, au lieu de cela ils l’ont tué », confie son père, « hanté » par la mort de son fils, depuis sa maison où sont dressés trois autels à sa mémoire.

« C’est le far west » dans cette région en proie à « un forte consommation de méthamphétamine et une ségrégation économique » et « les forces de l’ordre ont l’habitude de s’en tirer », déplore Josth Stenner, militant de l’association de droits civiques « Faith in the valley ».

Les familles dénoncent un manque de transparence, des mois pour obtenir un rapport de police, des intimidations et aucune conséquence: les méthodes policières sont toujours jugées conformes lors d’enquêtes internes, comme dans la plupart des cas similaires aux Etats-Unis.

Leticia De La Rosa a passé un accord avec la ville et obtenu 400.000 dollars – en s’appuyant sur le fait qu’un policier avait joué avec le cadavre de James en le « chatouillant ». La famille Alderman attend un procès en juillet et celle de Jorge Ramirez veut aussi « obtenir justice ».

Les polices du comté de Kern et de Bakersfield se disent prêtes à appliquer les réformes suggérées par le procureur.

En attendant, s’insurge Joe Arambulo, « il y a beaucoup de familles brisées ».

© AFP

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