Au Bangladesh, la « vie de prisonniers » des réfugiés rohingyas historiques

Kutupalong (Bangladesh) (AFP) – Le plus ancien souvenir de Hasina Begum n’est pas sa Birmanie natale ou l’arrivée de sa famille au Bangladesh, mais la déforestation d’une jungle pour élargir son camp de réfugiés – le seul univers que cette Rohingya de 31 ans ait jamais connu.

« Mes enfants me demandent parfois quel sera leur avenir. Je ne sais pas quoi leur répondre », confesse cette jeune veuve, voilée d’un châle jaune canari, sur le seuil de son obscure cabane en tôle.

Entrée au Bangladesh voisin en 1991 à l’âge de cinq ans pour fuir les persécutions contre sa minorité musulmane en Birmanie, Hasina vit piégée dans le vase clos de misère et de désespoir des camps de réfugiés rohingyas.

Les exilés de longue date comme elle y ont passé une bonne partie de leur existence. Pour beaucoup, leurs enfants y sont nés et n’en sont jamais sortis.

« Il n’y a pas de bonheur à trouver ici », lâche-t-elle.

Pas même la naissance de ses quatre enfants. « Si nous avions une maison décente, suffisamment à leur donner à manger, oui ç’aurait été un moment joyeux. Mais nous vivons dans un camp, nous manquons de nourriture et de tout, donc non, ce n’est vraiment pas une source de réjouissances ».

Pour les Rohingyas, l’Histoire se répète. Que ce soit en 1978, en 1991-92 ou en 2017, le cycle infernal violences-exode est devenu un schéma familier. Les récits des atrocités d’aujourd’hui font écho à ceux d’hier.

La fuite des Rohingyas a cependant pris cette année une ampleur inégalée, avec plus d’un demi-million d’entre eux passés au Bangladesh depuis fin août. Ils sont venus grossir les rangs des 300.000 réfugiés au moins qui se trouvaient déjà dans ce pays parmi les plus pauvres du monde, legs de vagues de violences précédentes.

« La moitié de ma vie est écoulée et je n’en ai rien fait », se désole Kafait Ulah, 34 ans dont 26 dans des camps de réfugiés.

Le Bangladesh considère les Rohingyas comme des citoyens birmans qui n’ont pas vocation à rester sur son sol. Ils n’ont donc aucune liberté de mouvement ou de travailler, forcés d’attendre un très improbable retour en Birmanie.

Dans l’impossibilité de reculer ou d’avancer, les Rohingyas dépendent ici de la charité des autorités ou des ONG.

Certains vivotent en se faisant embaucher comme ouvriers journaliers sur des chantiers de la région. Moyennant pot-de-vin, la police locale accepte de fermer les yeux sur les sorties du camp, raconte Mohammed Idriss, réfugié rohingya depuis 1992.

« Cette vie est comme une vie de prisonniers », déclare le quadragénaire à l’AFP. Il se met à pleurer: « je suis ici depuis si longtemps ! Ce n’est pas une vie ! »

À l’intérieur du camp de réfugiés de Kutupalong, en marche pour devenir le plus grand du monde (il passerait de 300.000 à 800.000 places), il devient désormais possible de dresser une archéologie des migrations successives.

Dans le quartier des réfugiés « historiques », les maisons rudimentaires utilisent des morceaux de tôle ou reposent sur des murets en terre. Plus l’on s’éloigne de la route, plus on progresse dans le temps: les abris des derniers arrivants sont encore plus frustes, se réduisant à de simples tentes fraîchement plantées sur une terre rendue boueuse par les pluies.

Vendeur de bambous en bord de chemin, Hafez Ahmed se souvient d’une scène bien différente à son arrivée il y a 27 ans. « Quand je suis venu ici pour la première fois, c’était une zone de collines vertes, inhabitée, couverte de jungle. Il y avait beaucoup d’éléphants dans le coin », se rappelle-t-il.

Derrière lui, la ville de tentes de Kutupalong s’étale, grouillante, colline après colline. Elle semble ne jamais avoir de bout. Les arbres des alentours ont été abattus à la hâte pour pouvoir faire de la place aux nouveaux réfugiés. Le camp bourdonne d’une atmosphère de chantier permanent.

Chez les exilés de longue date, même les discussions en cours entre Dacca et Naypyidaw sur un rapatriement de Rohingas ne parviennent pas à rallumer la lueur de l’espoir.

« Le Bangladesh renverra quelques personnes, la Birmanie acceptera de les reprendre. Mais dans six mois ou un an, tout cela va recommencer », prédit Kafait Ulah, désabusé.

© AFP

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