Biocarburants: « coup de poignard » de Bruxelles aux agriculteurs

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La Commission souhaite réduire de manière draconienne la part des biocarburants de première génération dans les carburants des transports entre 2021 et 2030 © AFP/Archives JOHN THYS

Paris (AFP) – « Inadmissible » ! Les cultivateurs européens sont dans une colère noire après la proposition surprise de la Commission européenne de freiner le recours aux agrocarburants d’ici 2030.

« C’est un coup de poignard dans le dos »: Eric Lainé, planteur de betteraves et patron des betteraviers français, n’en revient pas.

La Commission a annoncé mercredi qu’elle souhaitait réduire de manière draconienne la part des biocarburants de première génération dans les carburants des transports entre 2021 et 2030: ils tomberaient ainsi à 3,8% alors que l’objectif est à 7% pour 2020.

Concrètement, il s’agit de réduire l’ajout de bioéthanol issu de céréales ou de betteraves dans l’essence vendue en Europe, et du biodiesel produit à partir d’oléagineux, comme le colza ou le tournesol dans le gazole.

A l’inverse, la Commission table sur des objectifs croissants d’incorporation de biocarburants dits avancés, fabriqués à base de déchets agricoles et forestiers ou de microalgues, pour atteindre 3,6% en 2030.

Alors que les betteraviers font partie des seuls agriculteurs français dont les perspectives demeuraient encore un peu prometteuses, avec notamment la fin des quotas de sucre en octobre 2017, cette proposition tombe comme une douche froide.

Une telle mesure est « inadmissible », dit Dietrich Klein, du Copa-Cogeca, qui rassemble les syndicats et les coopératives agricoles européens.

« Ces carburants sont la seule alternative réelle sur le long terme aux carburants fossiles, lesquels sont moins respectueux de l’environnement que les biocarburants conventionnels. Sans eux, l’UE ne parviendra pas à réaliser ses objectifs en matière de climat et d’énergie », estime-t-il.

Une thèse contraire à celle de nombreuses ONG: longtemps vu comme l’alternative idéale aux carburants fossiles, les agrocarburants sont depuis plusieurs années épinglés en raison de leur impact négatif sur la production alimentaire, la déforestation et à terme le climat.

Marc-Olivier Herman, de l’ONG Oxfam, qui aurait souhaité que la Commission soit encore plus radicale en éliminant tous les agrocarburants de première génération, a même estimé qu’elle avait « cédé à la pression du puissant lobby des biocarburants ».

Selon Oxfam, le fait d’utiliser des terres arables à des fins énergétiques diminue les surfaces disponibles pour la production d’aliments. Cela contribue donc à l’augmentation des prix et aggrave le problème de la faim dans le monde.

Alors qu’actuellement « le pétrole compte pour 94% de l’énergie utilisée pour faire marcher voitures, camions, bateaux et avions en Europe, ces nouvelles mesures vont doper l’utilisation de biocarburants avancés », a plaidé mercredi le Commissaire européen Miguel Arias Cañete, lors d’une conférence de presse.

« Faux », rétorquent les betteraviers, qui contestent les effets pervers évoqués par les ONG, et jugent « irréaliste » de vouloir produire des biocarburants « avancés » à ce rythme.

« On va se battre contre ça et ça ne va pas rester en l’état », menace Alain Jeanroy, directeur général de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB).

Cette proposition de la Commission est en effet encore loin d’être adoptée et effective.

La Commission avait déjà appelé il y a quelques années à limiter à 5% le taux d’incorporation des biocarburants de première génération, mais le Parlement européen s’y était opposé.

Nicolas Rialland, responsable bio-éthanol à la CGB, redoute une « double peine »: selon lui cette décision s’ajouterait à une baisse « considérable » de la demande en carburant, en raison du renouvellement du parc automobile.

« On aurait des fermetures d’usines, c’est une menace pour l’emploi », estime-t-il, chiffrant à 10% la production betteravière française qui serait menacée.

« Cela aura également un effet négatif sur les marchés agricoles européens, principalement pour le secteur des oléagineux » (colza, tournesol…), met en garde Dietrich Klein.

« Le premier débouché des oléagineux français est le biocarburant », déclare à l’AFP Gérard Tubéry, producteur d’oléoprotéagineux dans l’Aude, qui craint la mise en péril de toute une filière.

« Le traitement dans ce projet de texte des biocarburants de première génération est inacceptable », a réagi le Syndicat des énergies renouvelables (SER), principale organisation professionnelle du secteur dans l’Hexagone, mettant également en garde contre la mise à mal « des sites industriels et plusieurs dizaines de milliers d’emplois en France ».

© FP

4 commentaires

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    • DAMS

    Depuis la nuit des temps, on utilise plus de 10% de la surface arable à la fourniture d’énergie. En effet, nourrir les boeufs et les chevaux de trait pour travailler le sol, semer, récolter, transporter les récoltes, nécessitait une partie de cette récolte pour les nourrir. De même, 10% autres étaient destinés à nourrir les animaux pour d’autres utilités, comme le transport des personnes (en selles, en calèche en diligence), et surtout pour l’industrie (transport du charbon dans les mines, certains chevaux étant élevés pour ces efforts intenses. Aujourd’hui en Europe, on ne mettra qu’au maximum 7% (au lieu des 20% auparavant) de biocarburants issus de la culture avec des rendements efficaces de la transformation chlorophyllienne (autour de 12% aujourd’hui contre 9%, il y a un siècle) ce qui permet une augmentation des rendements sans augmentation des moyens de production. Demain (2030° les recherches amèneront ce rendement chlorophyllien à 15 ou 16% et peut être un jour à 20%. On est loin des 25 à 30% des panneaux solaires comme quoi la nature n’est pas si performante que cela. Mais elle rend d’autres services et entre autre permet une optimisations des productions. C’est pourquoi, il est toujours occulté dans les discours des ONG, la réalité du fait qu’on a toujours produit des végétaux pour faire de l’énergie (cheval ou cheval vapeur aujour d’hui.)

    • Francis

    Les agrocarburants de 1ère génération doivent être des outils de régulation des marchés agricoles. Donc l’argument de la concurrence avec l’alimentation humaine ne tient pas. Ensuite les déchets agricoles (les pailles) doivent retourner au sol pour entretenir le taux d’humus et y nourrir la faune et la flore. On ne peut pas dire en même temps qu’un sol est un milieu vivant et en retirer ce qui lui revient. On ne peut pas parler de la nécessité de faire des rotations longues et critiquer des cultures (betteraves, colza) qui sont d’excellentes têtes d’assolement. L’incompétence de la commission européenne va aboutir à ce qui n’y aura bientôt plus d’Europe, nous allons voter au printemps prochain………….

    • Rozé

    De façon générale, on ne peut consacrer des terres cultivables pour faire du carburant. Et il y a plusieurs raisons à cela: 1) il faut en priorité nourrir sainement les gens; l’agriculture intensive n’est déjà pas adaptée à cet objectif et la culture maraichère bio est trop peu étendue; s’il faut trouver des débouchés agricoles, c’est là qu’il faut agir: agriculture extensive et pourvoyeuse d’emplois de maraichers, jardiniers, … 2) l’éthanol n’est pas rentable car il faut apporter sous forme d’énergie directe (traitement) ou indirecte (engrais) autant si ce n’est plus que ce qu’on récupère en carburant. En réalité cette filière ne survit que par des subventions publiques.
    J’approuve donc la décision de la Commission européenne qui va dans le bon sens et je réprouve tous ceux qui s’y opposent par intérêt à court terme; que tous ces gens pensent davantage à leurs descendants qu’à leurs biffons !

      • Francis

      Avant la motorisation,les terres cultivables servaient aussi à nourrir les chevaux, donc produire de l’énergie. L’éthanol de blé n’est pas rentable et a disparu. L’éthanol de betterave est rentable si la distance champ-usine est raisonnable, l’expérience le prouve. La consommation humaine de sucre doit baisser, c’est un problème de santé publique. Quand au colza, la production d’huile est supérieure aux besoins alimentaires et elle donne un tourteau de bonne qualité qui valorise la fumure azotée.