Caracas (AFP) – Eugenia veut émigrer, Jenner vend moins, Elizabeth pleure son frère victime de meurtre, Yasmari peine à trouver des médicaments et Denia fait de la contrebande. Au Venezuela, personne n’échappe vraiment à la crise.
Malgré ses abondantes réserves pétrolières, le pays sud-américain sombre : la chute des cours l’a privé de devises et vidé les rayons des supermarchés et pharmacies, suscitant une grogne sociale croissante.
Pendant que le président socialiste Nicolas Maduro et l’opposition de centre droit, majoritaire au Parlement, se disputent le pouvoir et se renvoient la balle sur la responsabilité de la crise, cinq Vénézuéliens racontent leur quotidien :
Frustration
Avec son chariot de vente de nourriture à emporter dans la rue, Jenner Moron, 21 ans, reçoit chaque jour plus de billets… mais moins d’argent. L’explication? Un cocktail d’inflation et dévaluation.
L’argent « est une illusion. Quand j’arrive à la maison, je pense ramener quelque chose mais quand je vais payer les factures je me rends compte que je n’ai rien », confie-t-il, désabusé.
Il y a quatre ans, un hot-dog coûtait 22 bolivars. Aujourd’hui, 500 (80 centimes de dollar au taux officiel, 48 au taux du marché noir). Le pays affiche la pire inflation au monde, à 180,9% en 2015, le Fonds monétaire international (FMI) tablant sur 720% en 2016.
Jenner ne vend plus que 120 hot-dogs par jours contre 500 avant. « On reçoit plus d’argent, mais en fait on gagne moins ».
Sans compter le danger de manipuler des quantités phénoménales de liquide dans l’une des villes les plus dangereuses au monde. Avec une vente moyenne de 120.000 bolivars, ce sont au minimum 1.200 billets à encaisser, la plus grosse coupure étant de 100 bolivars. Par sécurité, Jenner transporte les liasses à la banque quatre fois par jour.
Douleur
En pleurs devant la morgue de Caracas, Elizabeth Arana se lamente : « je souffre au plus profond de moi-même! ». Samedi son frère Roswill, policier de 28 ans, a été tué par balles. « Nous les policiers sommes aussi des victimes », glisse, sous couvert d’anonymat, un agent près de là.
L’an dernier, il y a eu 17.778 homicides, soit 58,1 pour 100.000 habitants, selon la justice, contre un taux moyen mondial de 6,2 en 2012 selon l’ONU. Les chiffres de l’ONG Observatoire vénézuélien de la violence (OVV) sont plus alarmants encore : 27.875 victimes de mort violente en 2015 (90 pour 100.000 habitants).
Roswill Arana laisse un enfant de quatre ans. « La crise économique augmente de manière inédite les délits et la violence », explique Roberto Briceño, directeur de l’OVV.
Fragilité
En novembre 2014, on a détecté à Yasmari Bello un cancer du sein. Depuis janvier, impossible de trouver des médicaments pour sa chimiothérapie. Craignant pour sa vie, cette administratrice de 39 ans a lancé une campagne sur les réseaux sociaux et manifesté avec 60 malades dans son cas.
« Mon traitement a été suspendu entre janvier et mai. J’ai souffert de stress, perdu du poids, j’ai senti que je risquais la rechute », raconte-t-elle. Selon la fédération pharmaceutique, 85% des médicaments sont introuvables.
Yasmari a eu la chance qu’on lui en envoie d’Espagne, pour tenir jusqu’à mi-juillet. « Je ne blâme ni le gouvernement ni l’opposition, je suis juste une patiente qui cherche des solutions ».
Désillusion
Entre ses études en pharmacie et son emploi à mi-temps dans une clinique, Eugenia Parra, 28 ans, se désole face au supermarché : « tout ça, c’est la file d’attente, pour retirer de l’argent et pour acheter de la nourriture ».
Chaque Vénézuélien a un jour assigné dans la semaine pour faire les courses, en fonction du dernier numéro de sa carte d’identité. Mais Eugenia doit repartir les mains vides, ne voulant pas rater son cours et doutant de pouvoir trouver ce qu’elle cherchait : selon l’institut Datanalisis, 80% des aliments de base manquent.
Six habitants sur dix font la queue jusqu’à huit heures de suite pour s’approvisionner, selon Anauco, ONG de défense des consommateurs. Les autres paient quelqu’un pour patienter à leur place ou achètent au marché noir. Eugenia n’en a pas les moyens.
« Un revendeur au noir gagne plus qu’un professionnel », critique-t-elle. « Je n’ai plus aucun espoir. Si une opportunité se présente, je m’en vais (du pays). Rester ici, c’est gâcher sa jeunesse ».
Nécessité
Denia est une de ces « bachaqueras » (du nom de la fourmi « bachaco’, commune au Venezuela) qui revend illégalement des aliments. Oubliant son maigre salaire de concierge, elle dégage un bénéfice de 4.000% en revendant un kilo de sucre 3.000 bolivars contre un prix officiel de 70.
Cette femme de 52 ans, qui ne donne évidemment pas son nom de famille, fait aussi de la contrebande de riz et de farine.
On ne peut acheter que deux unités par semaine de chaque produit, mais Denia en obtient plus avec la complicité de fonctionnaires ou commerçants corrompus.
Pour le gouvernement, cette activité illustre la « guerre économique de la bourgeoisie » pour aggraver la pénurie et déstabiliser le président Maduro.
Denia assure ne pas avoir le choix : avec un salaire minimum de 33.636 bolivars (54 dollars au taux officiel), « personne ne vit ».
© AFP
Un commentaire
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C
Comme je plains les habitants du Venezuela , et quand je pense que nous les Français sommes toujours en train de pleurer misère