Bogota (AFP) – Pour la Colombie, dédommager les victimes du conflit, qui ont quitté le pays pour échapper à des décennies de violence, relève de la course d’obstacles car personne ne sait exactement combien elles sont, ni où elles sont.
Recenser ces Colombiens, exilés tout au long d’un demi-siècle de guerre interne, est l’un des nombreux défis auxquels sera confronté ce pays une fois la paix conclue avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes), avec laquelle un cessez-le-feu bilatéral a été signé le 23 juin.
La semaine dernière, le gouvernement a aussi signé un accord avec le Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) pour diffuser le contenu des agréments avec les Farc concernant les victimes, faciliter leur retour volontaire et leur réintégration en Colombie.
Juan Carlos Villamizar est l’un de ces milliers de Colombiens qui ont dû fuir. Il a vécu 13 ans en Espagne après avoir reçu des menaces pour avoir représenté la société civile lors du troisième et précédent essai de dialogue de paix avec cette guérilla.
Aujourd’hui, il travaille à faire entendre la voix des exilés via la Commission de migration forcée, exil et réconciliation qu’il a contribué à créer, et qui rassemble plusieurs associations tel le Forum international des victimes.
« L’exil est l’un des faits de victimisation le plus grave après le déplacement interne, mais (…) la loi ne fait aucune référence au déplacement forcé international », a-t-il déclaré à l’AFP.
Selon M. Villamizar, qui a témoigné devant les négociateurs des accords de paix, le nombre d’exilés s’établit entre 800.000 et 900.000, soit plus du double des près de 350.000 réfugiés colombiens officiellement recensés par le HCR.
« Personne ne connaît » le chiffre exact, précise le représentant du HCR en Colombie, Martin Gottwald, car un exilé ne souffre « pas nécessairement d’un risque de persécution dans l’avenir » qui fait de lui un réfugié.
Beaucoup de Colombiens ignorent toutefois qu’ils peuvent bénéficier d’une protection internationale comme victimes d’un conflit qui a impliqué guérillas d’extrême-gauche, milice paramilitaires d’extrême-droite et forces armées, faisant quelque huit millions de victimes, dont au moins 260.000 morts, 45.000 disparus et 6,9 millions de déplacés.
En 2011, la Colombie a adopté une loi sur la réparation des victimes. Mais le processus de recensement a débuté tardivement à l’étranger et à peine plus de 9.000 personnes se sont enregistrées à ce jour, principalement au Canada, aux Etats-Unis, en Equateur et en Espagne.
M. Villamizar met en cause le fait qu’il faille aller dans un consulat pour s’enregistrer. « Si une personne a été victime de persécution de la part de l’Etat, vous croyez qu’elle va aller au consulat? Puis, si cette peur est surmontée, il y a un seconde barrière: certains pays vous retirent le statut de réfugié si vous posez le pied en territoire colombien, et un consulat est territoire colombien ».
Le directeur des Affaires migratoires et consulaires du ministère des Affaires étrangères, Javier Dario Higuera, est conscient du problème. Mais il souligne l’effort des 119 consulats colombiens pour informer et aider les victimes. En outre, les employés consulaires ont été formés pour enregistrer les déclarations, un processus qui dure environ trois heures par personne.
Quant aux exilés reconnus comme réfugiés, M. Higuera ajoute que le ministère a pris contact avec d’autres pays afin d’expliquer qu' »il ne doit y avoir aucune incompatibilité entre ce statut et l’application de la loi sur les victimes ».
Mais il admet l’existence d’autres « obstacles » tels le manque de « ressources suffisantes » pour mieux informer et le fait que les victimes « ne reçoivent pas de réponse rapide » après leur déclaration.
Des associations et le HCR jugent en outre que le délai donné jusqu’à juin 2017 pour s’enregistrer est trop court.
« Afin d’avancer », M. Villamizar propose que le HCR et le Défenseur du Peuple, organisme public colombien chargé de la défense des droits humains, puissent aussi procéder à ce recensement. Mais cela implique une amendement de la loi.
© AFP
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