Skopje (AFP) – La journée commence par un appel sur Facebook pour s’achever par des jets de peinture sur les bâtiments officiels de Skopje: soir après soir, des milliers de manifestants mènent leur « Révolution de couleurs », sans faire bouger d’un iota le pouvoir macédonien.
Depuis le 12 avril, ils exigent le report des législatives du 5 juin, mais aussi la démission du président Gjorge Ivanov ou le retrait d’une amnistie de responsables impliqués dans un gigantesque scandale de malversations et d’écoutes illégales de milliers de journalistes, politiques, responsables religieux.
Parmi les bénéficiaires de cette grâce présidentielle, Nikola Gruevski, l’homme fort du pays depuis 2006, patron du VMRO-DPMNE (droite nationaliste), dont la démission du poste de Premier ministre en janvier avait ouvert la voie aux élections.
Fruit d’un accord arraché par l’Union européenne en juillet 2015, ces législatives étaient initialement destinées à sortir le pays d’un blocage politique qui dure depuis deux ans.
Dans un récent entretien à l’AFP, le patron du VMRO-DPMNE, Nikola Gruevski a exclu de les reporter malgré le boycott des principaux partis d’opposition qui jugent que les conditions d’un scrutin équitable ne sont pas réunies. Quant à la grâce, elle reste d’actualité malgré les critiques européennes et américaines.
Alors chaque jour, armés de pistolets à peinture et de ballons, les manifestants maculent bâtiments officiels et statues bâtis à grands frais sous l’impulsion de Nikola Gruevski et dont l’esthétique néoclassique, symbolisée par la monumentale statue d’Alexandre Le Grand, divise la population.
« A la base, cette contestation, ce mouvement pour les droits civils, est une lutte pour la démocratie », affirme sous un arc de triomphe repeint Darko Malinovski, étudiant protestataire de 23 ans.
Cette « révolution de couleurs » serait, selon une source diplomatique, « surtout l’affaire de la classe moyenne urbaine ». Et à en croire les sondages, une grande partie des deux millions de Macédoniens soutiennent toujours Nikola Gruevski, dont les partisans organisent aussi leurs manifestations, notamment en province.
Selon une étude récente, N. Gruevski bénéficie en effet d’une cote de confiance de plus de 30% contre 11,4% pour son principal opposant, le social-démocrate Zoran Zaev.
A vélo, avec leur chien
L’organisation américaine de promotion de la démocratie, Freedom House, a critiqué en avril la Macédoine, évoquant notamment le contrôle exercé sur les médias.
« La population est divisée », selon le politologue Marko Troshanovski, président d’un « think tank » indépendant, l’Institut pour la démocratie. « Le parti au pouvoir bénéficie encore d’un soutien important, mais l’insatisfaction est émotionnellement très forte et elle augmente. »
Pourtant, les défilés ne gonflent pas. Les opposants au pouvoir, que les partisans du VMRO-DPMNE accusent d’être financés par l’étranger, restent des milliers, pas des dizaines de milliers.
La « révolution de couleurs » n’est « pas vraiment une révolution comme la révolution bolchevik », tempère l’ancien ambassadeur de la Macédoine à l’Otan, le professeur de Sciences politiques Nano Ruzin. « Ils ne veulent pas changer le système », « mais changer l’état d’esprit, la conscience de beaucoup de gens. »
Le visage des manifestants est paisible: jeunes ou moins jeunes, ils se retrouvent après la journée de travail, parfois accompagnés de leur chien ou à vélo, munis de banderoles et de sifflets, vêtus de T-Shirt vantant la « Révolution de Couleurs ».
Les slogans et les mots d’ordre sont fixés en fonction du thème du jour, diffusé sur Facebook: dette publique, corruption, report des élections. Puis ils rentrent chez eux sans qu’aucun incident notable n’ait été relevé depuis ceux des premiers défilés en avril.
« Les gens n’ont pas conscience de ce qui se passe. C’est pour cela que nous venons chaque jour, pour que les gens comprennent qu’il y a quelque chose qui n’est pas normal dans ce pays », déclare Marin Gavrilovski, un avocat de 43 ans, juste après que des ballons remplis de peinture ont été jetés vers des policiers.
© AFP
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