En pleine crise agricole, la sérénité d’un petit producteur de lait bio en Normandie

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François Hamel, producteur de lait bio à Bernières-le-Patry en Normandie, le 19 février 2016 © AFP CHARLY TRIBALLEAU

Bernières-le-Patry (France) (AFP) – Il « l’avoue » du bout des lèvres, en ces temps de crise agricole aiguë, François Hamel, 38 ans, est un producteur de lait heureux, bien rémunéré, désendetté, avec des loisirs. Après avoir fait la grève du lait en 2009, il s’est converti à l’agriculture biologique.

« Oui j’avoue, on peut dire que je suis heureux. En conventionnel, jamais je n’aurais pu dégager une heure par jour pour jouer de l’orgue », sourit modestement ce paysan désormais inscrit au conservatoire de Caen. Père de quatre enfants âgés de six mois à 19 ans, François Hamel a repris en 1998 la ferme familiale à Bernières-le-Patry (Calvados), avant de se convertir à la production biologique à partir de 2010 et d’obtenir le label AB en 2012.

Sa sérénité tranche avec le désespoir des éleveurs qui manifestaient quelques jours plus tôt à Caen, évoquant avec colère le suicide récent d’un des leurs, criblé de dettes, et criant leur « ras le bol » de ne pouvoir vivre de leur métier et de devoir travailler « 365 jours sur 365 ».

François Hamel et son épouse Clotilde ont eux aussi manifesté, mais en 2009, en jetant leur lait pour tenter de faire remonter le prix d’achat par les laiteries.

Cette grève s’avérant vaine, le couple a décidé de se lancer dans l’agriculture bio.

« Il y a un moment où il faut s’asseoir et se demander où on veut aller. Pour nous, respecter la vie, la terre, c’est sacré », explique ce catholique.

Résultat, le couple assure avoir aujourd’hui doublé son revenu annuel à environ 50.000 euros, dont 25.000 euros de subventions. Avant, il ne lui restait plus que l’argent des subventions pour vivre.

Le producteur, féru des fugues de Bach et « viscéralement attaché » à la terre, a vendu son lait en moyenne 435 euros les mille litres en 2015 pour un coût de production de 350 euros. En 2016, le prix de vente augmente, même après une baisse en 2015 par rapport à 2014.

En conventionnel, un éleveur de 100 vaches a récemment expliqué à l’AFP vendre son lait 270 euros pour un coût de production de 340, accumuler les dettes et vivre en conséquence des revenus de sa femme à l’extérieur.

Endettés jadis à 40%, les Hamel ont soldé tous leurs crédits en 2014 et ils ont pu embaucher un salarié à quart temps.

Fini « les notes pas possibles de concentré (maïs-soja) importé du Brésil, et de produits phytosanitaires »: leurs vaches sont depuis 2015 entièrement nourries à l’herbe, avec un complément de betteraves. Les bêtes sont soignées aux huiles essentielles et homéopathie.

Pour garder leur liberté, les exploitants limitent les investissements. « J’aime pas quand c’est la machine qui me dit: +tu vas faire telle production pendant 20 ans pour rembourser+ », résume le producteur, qui a commencé à diversifier sa production, dans le blé, au cas où, « dans 15 ans, le lait ne marche plus ».

Le virage bio a bien sûr été délicat.

« On avait plein de verrous psychologiques à faire sauter. Le réflexe qu’on a tous, c’est de ne surtout pas vouloir baisser la production. Et puis on s’ouvre petit à petit, on voit que le prix est effectivement élevé. On se dit: +à quoi bon s’échiner comme un bourrin+ », explique François Hamel.

Le couple possède 50 vaches laitières. Il en a eu jusqu’à 68 par le passé. Chacune produit 4.000 litres par an, contre 7.000 auparavant.

Le cheptel a dû en outre être adapté. Les pattes des productives Holstein étaient trop fragiles pour pâturer souvent. « Jusqu’à un quart du troupeau boitait », se souvient l’éleveur. Plusieurs sont tombées malades. Il a résolu le problème en les croisant avec d’autres races, « une hérésie » pour les Hamel des années 2000.

Reste que « j’ai la chance d’avoir des terres regroupées, c’est plus facile. Et il faut de la trésorerie au départ », reconnaît-il.

© AFP

6 commentaires

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    • mona

    Bonjour…
    Si tous les agriculteurs pouvaient vous lire, cela les encourageait à faire « sauter les verrous » ….
    Et par conséquent, tout le monde les en remercierait. Notre santé en a vraiment besoin…. elle passe par notre alimentation, donc par nos producteurs.
    Merci à Vous pour ce témoignage courageux démontrant que la réflexion et la volonté de produire bio est la solution pour tous.

    • Kris

    Ce modèle marcherait-il encore s’il était généralisé ? Si oui, pourquoi les organisations syndicales agricoles n’encouragent-elles pas leurs adhérents ou plus généralement une large portion d’agriculteurs à migrer vers l’agriculture bio ? Le marché bio est-il plus qu’un marché de niche ? Pour généraliser ce modèle, ne faudrait-il pas aussi modifier l’attitude du consommateur ?

    • Francis

    Le regroupement des parcelles autour de l’étable est une condition stratégique; Ensuite le climat,il est plus facile de produire du lait bio dans l’ouest qu’en climat continental et inversement pour les céréales. La production de lait bio répond très mal au problème de la linéarité: un flot de production au printemps et en été puis un manque de lait en automne-hiver,c’est peu compatible avec les besoins des consommateurs et le fonctionnement de l’industrie de transformation.
    Le cahier des charges est très contraignant précisément pour qu’il n’y ait pas trop de producteurs qui se convertissent pour tenir les prix. En économie de marché,le seul moyen d’avoir des prix agricoles rémunérateurs est d’avoir une légère pénurie. C’est le contraire de ce qui se passe aujourd’hui,le seul but de la politique agricole commune est de faire baisser indéfiniment les prix agricoles.Nous avons dépassé maintenant les limites du supportable.A mon avis,à coté de la bio,il faut généraliser l’agroécologie, qui est plus souple à mettre en place et qui justifie du point de vue du consommateurs de faire des achats nationalistes à des prix raisonnables;

    • Christian Hamel-Guevin

    BRAVO !! Monsieur Hamel,force et d’admettre que la persévérance est une force de caractère génétique d’un côté ou l’autre de l’Atlantique cher petit cousin Francois ,,,longue vie à ton entreprise

    • Maryz

    Bravo. Il serait bien de vous faire connaitre auprês de vos confrêres pour les rassurer sur un changement possible et responsable. Confêrences, têlê, radio, journaux,,, faites vous connaitre afin de devenir un porte parole auprês de tout ceux qui n’osent plus faire machine arrière… Merci

    • samir

    Bonjour; Monsieur Hamel un plaisir à partager sur votre activité.
    je suis un agriculteur de L’Algérie exactement de Kabylie,merci de me orienté pour une formation ou un stage de élevage des vaches laitière et fromagerie.
    j’aimerai bien partagé votre expérience.
    chebana.rabah@hotmail.fr
    +213 775503586.