Madrid (AFP) – Treize ans après la marée noire du Prestige, le capitaine grec du pétrolier a été définitivement condamné mardi à deux ans de prison par la justice espagnole, qui a déclaré civilement responsables le propriétaire libérien et l’assureur britannique du bateau.
En désignant pour la première fois des responsables civils pour cette catastrophe, la Cour suprême ouvre la voie à une indemnisation des parties lésées par cette catastrophe, l’une des plus graves ayant touché l’environnement en Europe.
Les dédommagements, concernant essentiellement la France, le Portugal et surtout l’Espagne, pourraient se chiffrer en milliards.
Le 19 novembre 2002, le pétrolier libérien à coque simple, battant pavillon des Bahamas, avait sombré dans l’Atlantique, au large de la Galice, six jours après avoir subi une avarie lors d’une tempête. Pendant plusieurs semaines, plus de 63.000 tonnes de fioul avaient pollué le littoral espagnol, portugais et français, sur des milliers de kilomètres. Plus de 300.000 volontaires venus de toute l’Europe avaient participé au nettoyage des plages et rochers souillés.
Pour la pire marée noire jamais connue en Espagne, la Cour suprême a finalement condamné pénalement à deux ans de prison une seule personne: le capitaine du navire, Apostolos Ioannis Mangouras, aujourd’hui octogénaire.
Il est désigné comme « auteur et responsable d’une atteinte à l’environnement par imprudence avec la circonstance aggravante de dommages catastrophiques ».
L’arrêt de la Cour rappelle cependant que le capitaine, âgé de 67 ans au moment de la catastrophe, était sous traitement médicamenteux après avoir subi une opération du coeur. Et que son équipage était essentiellement composé de jeunes marins philippins inexpérimentés.
Selon un témoignage cité par la Cour, le bateau vieux de 26 ans était normalement « allé à Saint-Pétersbourg pour y mourir ». « Mais il avait été décidé une traversée de plus, qui fut réellement la dernière ». Le bateau était surchargé et si mal entretenu que le capitaine avait dû « naviguer en mode manuel parce que le pilotage automatique ne fonctionnait pas ».
Pour la première fois, la plus haute instance judiciaire espagnole a cependant déclaré « la responsabilité civile directe » de l’assureur britannique du bateau, The London P&I Club, « à hauteur d’un milliard de dollars », soit le plafond qui figurait dans le contrat d’assurance.
Et elle a pointé la « responsabilité subsidiaire » du propriétaire libérien du pétrolier, Mare Shipping Inc., « qui connaissait l’état réel » du pétrolier.
L’affaire était arrivée en septembre devant la plus haute juridiction pénale espagnole, parce que le parquet de la Corogne (Galice, nord-ouest de l’Espagne) et l’Etat français avaient contesté la condamnation – beaucoup trop légère selon eux – prononcée en 2013 par la cour d’appel de Galice.
Le capitaine avait alors été acquitté pour les délits « d’atteinte à l’environnement et à des espaces naturels protégés ». Il n’avait été condamné qu’à neuf mois de prison pour « désobéissance grave à l’autorité », délit que la Cour suprême n’a pas retenu.
Dès 2012, le préjudice avait été chiffré à plus de 4,1 milliards d’euros dont 3,8 pour l’Etat espagnol. En 2013, le gouvernement français avait estimé à 109 millions le coût pour les victimes françaises de la marée noire.
L’actuel chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, vice-président du gouvernement de Jose Maria Aznar à l’époque avait minimisé: « Emergent quelques petits filaments » qui « ressemblent à de la pâte à modeler », avait-il déclaré, une phrase qui lui a été souvent reprochée.
Mardi, l’organisation de défense de l’environnement Greenpeace a regretté que le capitaine ait été désigné seule « tête de turc ».
« On cherche à protéger ainsi les véritables responsables de la marée noire qui avait recouvert 2.500 km de côtes », a affirmé l’ONG, en évoquant les défaillances liées à la prise en charge du bateau, envoyé au large alors qu’il aurait du être remorqué dans un port refuge.
Me Pierre Santi, avocat de plusieurs communes du littoral français touchées, notamment au Pays basque français (sud-ouest) a salué « une très bonne nouvelle », tout en restant prudent sur les indemniés.
« La Cour suprême espagnole a donné un cadre général pour la fixation des indemnisations, il va falloir voir concrètement ce que l’on peut obtenir », a-t-il dit à l’AFP.
© AFP
2 commentaires
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Oskar Lafontaine
Les véritables responsables de cette catastrophe ne sont pas ceux ici retenus. Déjà il faudrait se souvenir de ce que transportait ce pétrolier, d’où il venait et où il allait. Il ne transportait pas du pétrole moyen oriental, à destination d’une raffinerie européenne, il allait d’une raffinerie européenne à un port italien et transportait un « déchet ultime de raffinage », normalement destiné à être, pour des raisons de sécurité sanitaire, détruit dans des conditions très encadrées et à un coût élevé.
Pour malgré tout, « rentabiliser » ce déchet ultime de raffinage, de densité élevée, genre bitume, et ne pas avoir à payer les frais élevés de destruction, un trafic, parfaitement en marge du droit existant, mais qui le contournait, avait été organisé entre la raffinerie européenne concernée, et le « client » italien. Le produit ultime de raffinage était rendu, par adjonction d’un produit plus léger et en le chauffant, un peu plus liquide pour pouvoir être pompé dans le pétrolier, transporté jusqu’en Italie, soit 4000 kilomètres environ, et brûlé dans une centrale thermique italienne pour y produire de l’électricité, mais forcément, en empoisonnant à des kilomètres à la ronde autour de la centrale thermique. Et pour limiter au maximum les frais de transport, et augmenter l’intérêt pécuniaire du trafic, de vieux rafiots, de moyen tonnage, celui de leur époque de construction, et vingt ans d’âge, normalement promis à la casse, étaient employés, à un tarif défiant, et pour cause, toute concurrence.
Les vrais responsables, sont donc les organisateurs de ce trafic, tout autant que les diverses « autorités » politiques et administratives concernées en Europe, parfaitement informées, mais qui ont « fermé les yeux », parce que très probablement « intéressées » à les fermer. Tout ce beau monde, n’a évidemment jamais été inquiété et ce sont les lampistes qui trinquent. Ne me parlez pas de « justice », cette dame, dans cette affaire comme dans tout d’autres, tout récemment encore à Notre Dame Des Landes, était aux abonnés absents et n’a jamais rien voulu savoir de la vérité, pourtant parfaitement connue de tous ceux qui creusèrent un peu la question.
Alain Riethmuller
Merci Oskar Lafontaine de l’avoir dit.