Lima (AFP) – Au Pérou, la construction d’une autoroute traversant l’Amazonie inquiète le gouvernement : bénéfique pour les échanges commerciaux, elle risque pourtant de rompre l’isolement de tribus indigènes coupées du monde, tout en favorisant l’orpaillage et la déforestation.
L’une de ces tribus menacées est celle des Mashco-Piros, une ethnie qui vit de la chasse et de la cueillette et dont la langue est encore largement inconnue.
Les travaux, actuellement paralysés en raison d’une infraction aux normes environnementales, sont cependant soutenus par certaines communautés indigènes de Madre de Dios (sud-est), cette région frontalière avec le Brésil, qui y voient le moyen de doper le commerce et le transport de leurs produits.
Le gouvernement, lui, pense surtout aux tribus qui vivent dans la zone et ont fait le choix de rester isolées.
« Nous sommes très préoccupés par la construction de la route qui reliera les localités de Nuevo Eden avec Shipetiari, Diamante, Boca Manu, dans la région de Madre de Dios, où plusieurs communautés vivent dans un isolement choisi », explique à l’AFP Lorena Prieto, responsable de la Direction des peuples indigènes isolés au sein du ministère de la Culture.
La route constitue un risque parce qu’elle permettra de relier la province enclavée où se trouve la zone protégée du parc national du Manu, avec des localités où les mines d’or illégales prospèrent, met en garde Mme Prieto.
« Avec cette autoroute, la présence de mineurs et de coupeurs de bois travaillant de manière illégale augmentera dans cette zone protégée », dit-elle.
Selon les estimations officielles, le Pérou, premier producteur d’or en Amérique latine et cinquième au monde, compte environ 100.000 mineurs illégaux qui détruisent l’écosystème unique de la région.
Madre de Dios est au centre de cette activité, avec 60.000 hectares de forêt déjà détruits.
Déjà plusieurs fois cette année, les Mashco-Piros se sont approchés, par petits groupes familiaux de cinq personnes, le long de la rivière Alto Madre de Dios, forçant les autorités gouvernementales à réagir pour les protéger.
« Il a été possible de les voir et de leur parler de loin. Nous savons qu’il vivent dans des forêts vieilles d’un demi-siècle. Nous ne voulons pas les contacter ni les suivre, juste éviter que les touristes et commerçants qui passent par le fleuve ne les approchent », explique Lorena Prieto.
En décembre dernier, dans la localité de Monte Salvado, où vivent les indigènes Machiguengas, près de 200 Mashco-Piros étaient venus et avaient emporté de la nourriture.
Selon les chiffres officiels, Madre de Dios recense près de 4.000 indigènes, la majorité d’entre eux provenant de la tribu des Harakbuts (1.628), suivie des Machiguengas (705) et des Yines (607).
Trois communautés ont choisi l’isolement : 150 membres de la tribu des Machiguengas, 300 des Nahuas ainsi que 800 Mashco-Piros. Si elles s’ouvraient au monde, leur système immunitaire, très vulnérable, pourrait être en danger, préviennent les spécialistes.
Parmi les opposants à l’autoroute, la fédération des natifs du Rio Madre de Dios et affluents (Fenamad), qui représente 33 communautés, a relevé les carences des études d’impact environnemental, ainsi que l’absence de consultation auprès des communautés indigènes.
Le gouvernement régional de Madre de Dios, en charge du chantier, assure que cette route n’affectera pas les tribus isolées et qu’elle ne favorisera pas non plus l’activité minière illégale, soulignant le soutien apporté par les communautés locales qui souhaitent pouvoir transporter leurs marchandises.
« Dans les prochaines semaines une consultation sera réalisée auprès de toutes les populations touchées par cette route, parce que nous visons le développement des communautés en situation d’extrême pauvreté qui ne peuvent pas faire circuler leurs marchandises », raconte à l’AFP Eduardo Salhuana, directeur administratif du gouvernement régional.
Il y a un mois, des indigènes de différentes communautés avaient d’ailleurs retenu pendant une journée près de 40 personnes, en majorité des touristes étrangers, pour demander que les travaux reprennent.
« Les communautés indigènes de la région sont très enthousiastes à l’idée d’avoir une autoroute, et cela est compréhensible parce qu’elles espèrent pouvoir transporter plus rapidement leurs produits », assure M. Salhuana.
© AFP
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