Baranjsko Petrovo Selo (Croatie) (AFP) – Ils conduisent habituellement des touristes ou des enfants mais désormais, masque hygiénique sur le visage, les chauffeurs de bus privés croates transportent jour et nuit des milliers de migrants d’une frontière à l’autre, de la Serbie vers la Hongrie à travers la Croatie.
« Povremeni prijevoz ». « Transport temporaire ». Derrière les panneaux posés sur leur pare-brises, les regards sont fatigués. Cela fait une semaine que les chauffeurs enchaînent les cadences infernales.
« En ce moment, le mouchard (le chronotachygraphe, ndlr), ça ne compte plus », glisse Domagoj Majstorovic, qui transporte des enfants la journée et des migrants la nuit et durant les week-ends.
Il patiente au poste-frontière de Beremend, entre la Croatie et la Hongrie, en attendant que son bus se vide. Il est arrivé en convoi avec neuf autres bus depuis le centre d’accueil d’Opatovac, à proximité de la frontière serbe, à une centaine de kilomètres de là.
La veille au soir, un autre chauffeur confiait en avoir « un peu marre »: « Je me lève à 05H00 (03H00 GMT) et je ne rentre pas chez moi avant minuit, depuis cinq jours. Normalement, je fais 8 heures pas jour ».
Leurs compagnies (Autotrans, Terzic Bus, App, Slavonja Bus, Cazmatrans…) ont mis des véhicules – et des chauffeurs – à disposition pour aider le gouvernement croate pour évacuer le flux ininterrompu de migrants qui entre sur le territoire et a atteint jusqu’à 10.000 par jour, un record, vendredi dernier.
« Mais la paye est intéressante, on a les heures de nuit, les heures supplémentaires », confie Domagoj Majstorovic.
Pour lui comme pour tous ses collègues, « le plus dur, c’est pas la conduite, c’est l’attente. »
Au poste-frontière de Beremend, la procédure est lourde. Les bus sont vidés un par un. Un bus ne peut être vidé que quand tous les migrants du bus précédent ont été scrupuleusement fouillés par les policiers hongrois et amenés de l’autre côté.
Dans son costume siglé Terzic Bus, Marko Rasic enchaîne lui aussi les trajets entre Opatovac et les postes-frontière hongrois de Beremend (100 km) ou Barcs(190 km).
« On ne me demande pas mon avis, je fais ce qu’on me dit. Ce ne sont pas des conditions excellentes: les odeurs ne sont pas agréables, les conditions d’hygiène sont catastrophiques. Les masques (hygiéniques), ça ne sert pas. Les plus exposés, c’est nous », explique-t-il, en regardant les policiers qui portent le même masque que lui mais travaillent en plein air. « Les bus ne sont même pas désinfectés chaque jour », ajoute un de ses collègues.
« Mais on n’a jamais eu de problème avec eux (les migrants) », reprend Marko Rasic. « Ils ne sont pas impolis, pas agressifs. Tout ce qu’ils nous demandent, c’est de recharger leurs téléphones ou de l’eau. Si on en a, on leur donne ».
« Généralement, ils ne savent pas où ils vont », raconte-t-il. « Ils nous demandent +Où allons-nous ?+ et ils grimacent quand on leur dit la Hongrie. On leur dit que c’est juste du transit, qu’ils vont aller en Autriche, ça les rassure ».
« Ils arrivent tendus, fatigués. Dans le bus, ils se détendent, ils dorment. Ils cherchent juste une vie heureuse, alors on leur fait faire un bout de chemin », explique Robert Hedji, chauffeur de 34 ans: « Je les comprends, nous aussi on a connu la guerre », dit-il en faisant référence au conflit serbo-croate (1991-995) qui a ravagé cette ex-république yougoslave.
Résignés ou volontaires, les chauffeurs de bus prennent leur part à cette « situation exceptionnelle ». « Mais je ne sais pas jusqu’à quand on va faire ça », souligne Domagoj Majstorovic. On dit qu’il y en a deux millions en Turquie, alors s’ils passent tous par ici… »
Personne ne peut dire aujourd’hui combien de temps ce « transport temporaire » va durer.
© AFP
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