Par humanisme et par intérêt, les économistes conseillent à l’Europe d’accueillir les migrants

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Patrick Artus, économiste considéré comme libéral de la banque Natixis, le 16 janvier 2012 à Paris © AFP/Archives Martin Bureau

Paris (AFP) – Par humanisme, et par intérêt: les économistes de tous bords conseillent à l’Europe d’accueillir les migrants, faisant valoir que dans le meilleur des cas cela soutiendra sa croissance, sans qu’il ne lui en coûte beaucoup.

Patrick Artus, économiste considéré comme libéral de la banque Natixis, juge dans une note récente que l’accueil de réfugiés offre à l’Europe l’occasion « non seulement d’honorer son rang d’Union démocratique, riche et respectueuse de sa tradition, mais aussi d’accroître ses perspectives de croissance ».

Loin des houleux débats politiques et culturels, Holger Schmieding, de Berenberg Bank, a calculé que l’accueil de réfugiés pourrait accroître le Produit interieur brut de la zone euro de 0,2% dès le deuxième semestre 2015.

« Notre continent peut et doit devenir une grande terre d’immigration au XXIe siècle », écrivait pour sa part l’économiste de gauche Thomas Piketty dans une tribune récente publiée par le quotidien Libération.

« Accueillir des réfugiés est une décision humanitaire, cela ne peut pas être une décision économique », rappelle toutefois Jean-Christophe Dumont, spécialiste des migrations à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). « Cela a un coût, sur plusieurs années, et ce n’est pas grave ».

Ceux qui fuient la guerre « n’ont pas préparé leur migration, ni choisi le pays d’origine. Ils sont passés par des traumatismes, il faut du temps pour qu’ils se remettent. Quand ils descendent du bus, on ne peut pas attendre d’eux qu’ils aillent répondre aux petites annonces », affirme-t-il.

Selon lui, il faut cinq à six ans aux réfugiés arrivant en Europe pour atteindre le taux d’emploi des migrants qui entrent au titre du regroupement familial, et environ quinze ans pour converger vers celui des autochtones.

– Effets financiers et sociaux « de très faible amplitude » –

Mais au final, qu’il s’agisse de réfugiés ou de migrants dits « économiques », « toutes les études disent que les effets (des migrations) sont de très faible amplitude que ce soit sur le marché du travail ou les finances publiques » des pays développés, assure El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris Dauphine.

« Ce n’est pas la même chose pour un pays comme le Liban, qui en quelques années reçoit l’équivalent d’un quart de sa population », rappelle-t-il. La France, l’un des pays riches les plus « fermés » selon l’OCDE, s’est à titre de comparaison engagée au niveau européen à accueillir 24.000 réfugiés en deux ans, soit 0,04% environ de sa population.

L’historienne Nancy Green, chercheuse à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, explique qu’il « y a une place pour les immigrés pendant les périodes d’expansion comme de déclin » économiques, dans les secteurs où les « conditions ne sont pas jugées assez bonnes pour les autochtones ». Et de citer la confection ou la sidérurgie aux XIXème et XXème siècles, et les services à la personne aujourd’hui.

Si concurrence il y a, dans des secteurs employant beaucoup de main d’oeuvre, elle « se joue surtout entre les vagues d’immigration successives », souligne M. Mouhoud, tandis que les travailleurs autochtones, eux, vont plutôt être « poussés » vers des emplois mieux payés et plus sophistiqués.

« Généralement les migrants sont jeunes, en bonne santé, désireux de travailler. Ils rapportent plus qu’ils ne coûtent » en protection sociale, à condition de mettre les moyens pour les accueillir, souligne Emmanuelle Auriol, chercheur à la Toulouse School of Economics.

Ils sont aussi « de plus en plus qualifiés, les plus pauvres ne peuvent pas partir, les coûts d’émigration sont prohibitifs. Quand on dit +on ne peut pas recevoir toute la misère du monde+, on se trompe, ce n’est pas la misère qu’on reçoit malgré les apparences », affirme pour sa part M. Mouhoud.

Ce que veulent les réfugiés comme les migrants, « c’est se reconstruire, avoir une vie meilleure pour leurs enfants, travailler », et non pas être dépendants d’aides sociales, assure M. Dumont, de l’OCDE, pour qui « il faut construire sur ce dynamisme ».

Il souligne à cet égard l’attraction particulière qu’exerce l’Allemagne, « vue comme un pays offrant des opportunités », par rapport à la France, malgré des systèmes de protection sociale globalement équivalents.

« Les réfugiés sont un investissement (…) ce n’est pas de l’argent perdu », plaide aussi Marcel Fratzscher, président de l’institut allemand de recherches économiques DIW.

 

© AFP

6 commentaires

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    • Oskar Lafontaine

    Effectivement, je suis tout à fait en accord avec cette analyse.

    • Paul Sven

    Ce n’est malheureusement pas du tout le constat qu’est en train de faire la Suède qui a une longueur d’avance sur les autres dans le domaine :
    http://www.theglobeandmail.com/globe-debate/swedens-ugly-immigration-problem/article26338254/

    De toute manière, depuis quand les économistes ne se trompent pas ?

    L’humanisme, ce n’est pas encourager l’exil et les acculturations, c’est museler le chaos — par tous les moyens — et aider à rebâtir. On chasse les tyrans et les fous du Diable, on fait place nette et on aide chacun à vivre sous son propre soleil.

    Les lubies des Patrick Artus et cie ne sont que du délire qu’il me semble bien dangereux de relayer.

    • Damien

    Peut-on encore croire les « économistes » ? Surtout dans le domaine d’humanisme. J’ignorais qu’ils étaient champions en ce domaine. Mais voilà, il ne s’agit qu’n avis bassement matériel et économique. Il est bon pour eux. Mais l’aspect culturel et historique est totalement oublié car un économiste est sans culture. Comme dit Paul Sven, « les lubies de Patrick Artus et Cie ne sont que du délire ». CQFD

    • Francis

    En 1940,mes grands parents et leurs enfants ont été accueillis en Bretagne puis ils sont rentrés chez eux dès que ça a été possible.Nous sommes tous d’accord pour accueillir les syriens mais il faut aussi nettoyer la Syrie de ses démons pour qu’ils puissent rentrer chez eux.

    • Marc Gillet

    Est-ce que ces économistes ne défendraient pas avant tout les intérêts des banques qui les emploient et du patronat? On comprend très bien qu’un afflux de main d’œuvre puisse augmenter le profit capitaliste, en produisant davantage et en rémunérant moins les travailleurs. Ces économistes nous alertent depuis des années sur le déclin de la France et sur des dépenses publiques excessives, est-ce cohérent avec ce qu’ils disent ici?

    • chaumien

    Comment les banquiers et les économistes peuvent donner des leçons d’humanisme alors que ce sont eux qui génèrent la misère, la famine et la guerre dans le monde.
    Comme tous, les plus pauvres ne demandent qu’à vivre décemment dans leur pays et ils n’auront jamais la possibilité d’emmigrer,s’ils le voulaient; pourtant ils seraient mieux accueillis par nous que par les banquiers et les économistes!