Cocorna (Colombie) (AFP) – Quand Sebastian Duque part à l’école de son village de Colombie, ses pas ne dévient pas d’un orteil. Sur le chemin rôde la menace invisible des mines antipersonnel, héritage d’un conflit armé en cours depuis plus d’un demi-siècle.
A Cocorna, une localité rurale du département d’Antioquia (nord-ouest), l’école de ce garçon de neuf ans a été bâtie à l’emplacement même d’un ancien campement de la guérilla marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), actuellement engagées dans des pourparlers de paix.
« Je lui dis de faire bien attention avant de sortir. Qu’il ne s’aventure pas hors du chemin », explique à l’AFP son père, Argiro Duque, un paysan qui confie avoir « très peur » des explosifs enterrés.
Un bataillon de l’armée parcourt le village pour désactiver les mines qui pullulent dans ce pays, qui est le plus touché au monde par ce fléau après l’Afghanistan, avec 2.000 morts et 9.000 blessés depuis 1990, dont 10% de victimes mineures, selon des chiffres officiels.
Passionné de football, Sebastian joue fréquemment avec ses compagnons dans la cour de l’école. Défense absolue de sortir du terrain. Derrière les grilles, des panneaux rouges rappellent la présence de mines.
« Souvent le ballon sort du terrain et nous demandons aux soldats de nous le récupérer, parfois il reste là-bas deux ou trois jours », raconte le jeune enfant. Ses amis savent que partir à sa recherche peut leur coûter « les jambes, la tête, la vie ».
Pour tenter d’atténuer la réalité, leur maître Edwin Ramirez leur dit de ne pas s’éloigner car des bêtes féroces se cachent derrière les arbres, mais la plupart des élèves connaissent la nature réelle de la menace. « La cour de l’école, c’est à la fois un espace qui leur appartient et qui ne leur appartient pas », commente le professeur.
Guérillas, milices paramilitaires, armée : tous les acteurs du conflit colombien ont eu recours aux mines antipersonnel. Les autorités y ont renoncé après avoir signé en 1997 la convention d’Ottawa qui interdit leur usage et accusent depuis les rebelles de continuer à les semer.
C’est notamment le cas dans les vallées d’Antioquia, une région connue pour son café et ses fleurs, où débute un vaste plan de déminage dans le cadre du processus de paix.
Soldats et guérilleros vont travailler ensemble conformément à un accord conclu lors des négociations qui se déroulent depuis novembre 2012 à Cuba, dans l’espoir de résoudre le plus vieux conflit d’Amérique latine, qui a fait officiellement pas moins de 220.000 morts.
Sur les quelque 1.120 municipalités de Colombie, 688 restent potentiellement minées, souvent dans des endroits très fréquentés par la population.
L’ONG internationale Halo Trust, qui participe aux opérations de déminage dans les environs de Cocorna, a ainsi découvert deux engins enfouis près d’une statue de la Vierge qui était érigée dans un des rares secteurs où l’on peut capter un réseau de téléphonie mobile.
Boîtes de café ou autres récipients remplis de mitraille, les mines antipersonnel utilisées par les Farc sont souvent de fabrication artisanale.
A Sonson, un village voisin, un ancien guérillero a déjà commencé à débusquer les explosifs à l’aide d’un détecteur de métaux. Il avait 15 ans quand la rébellion l’a enrôlé de force avec sa sœur, assassinant devant leurs yeux leur père.
Après s’être échappé des Farc, ce dernier raconte sa « fierté à l’idée de savoir qu’une personne va pouvoir fouler le sol » qu’il aura lui-même révisé.
Toujours à Sonson, Marta Quintero supervise pour Halo Trust le déminage près d’une autre école, abandonnée celle-là après le meurtre d’un enseignant par des paramilitaires.
Enfant, elle a marché sur une mine qui, miraculeusement, n’a pas explosé. Un de ses voisins, qui avait 13 ans à l’époque, n’a pas eu la même chance. « Il était parti compter les vaches, il s’est arrêté sur une mine et on l’a retrouvé mort, gisant dans son sang ».
Libérer le pays des mines sera difficile, prévoit Marta. « Personne ne sait où elles sont et malheureusement ce sont les paysans qui trinquent le plus, alors qu’ils n’ont rien à voir avec cette guerre », soupire-t-elle.
© AFP
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