Londres (AFP) – Armés de pelles, les égoutiers de Londres plongent chaque jour dans les entrailles de la mégalopole pour briser les « fatberg », d’énormes blocs de graisse putrides qui menacent de congestionner les sombres couloirs de cette ville sous la ville.
« C’est de pire en pire. Ca touche certains égouts qui n’étaient pas concernés avant », dit à l’AFP Vince Minney. Il évolue alors au milieu d’un magma d’immondices lui arrivant jusqu’à la taille avec son équipe d’égoutiers de Thames Water, l’organisme gestionnaire des eaux de la capitale britannique.
La tâche est titanesque: ces caillots de gras provoquent 80.000 obstructions par an dont le traitement coûte 12 millions de livres (15 millions d’euros).
Les fêtes de fin d’année ne font que l’amplifier. Entre Noël et le Nouvel an est déversé dans les égouts l’équivalent de deux piscines olympiques de graisse de dinde…
Les égouts de Londres, ce sont des kilomètres et des kilomètres de couloirs habillés de briques hérités de l’époque victorienne (XIXe siècle), de canalisations, de conduits, parcourus par une fange faite d’excréments et de matières grasses en état de décomposition.
Une vision, une odeur, cauchemardesques, sauf pour les innombrables vers et mouches qui y festoient.
Equipés de combinaisons blanches et de bottes en caoutchouc, Vince Minney et ses collègues progressent au milieu des déchets, à seulement sept mètres sous le niveau de la rue.
Au-dessus de leurs têtes, un monde aux antipodes: le grand air, des boutiques et hôtels de luxe d’un quartier cossu du centre.
Vince, 54 ans, travaille depuis 24 ans dans les intestins de la ville, autant d’années pendant lesquelles les « fatberg » n’ont cessé de s’étendre.
Le problème, explique-t-il, c’est cette épaisse « couverture » de graisse qui forme comme une banquise au-dessus des eaux usagées.
![]() Vince Minney sort d’une bouche d’égout, le 11 décembre 2014 à Londres © AFP Adrian Dennis |
Figée par le froid, la graisse se mélange avec les déchets, couches, serviettes hygiéniques, emballages, canettes, et s’agglomère en blocs solides dont le plus gros, un monstre de 15 tonnes découvert en 2013, avait la taille d’un bus.
Ces « fatberg », « c’est le truc le plus dégueulasse qui soit. La diarrhée à côté, c’est de la rigolade », lâche Vince en tapant sur l’épaisse couche de gras sur laquelle s’est développée une moisissure aux airs de vomi séché.
En brisant cet amas graisseux, les égoutiers libèrent un dégagement d’hydrogène sulfuré, un gaz toxique à l’odeur d’oeuf pourri.
« On dirait un croisement entre l’odeur du fromage coulant et de la pourriture », commente Tim Henderson, un égoutier de 39 ans.
Si ça ne suffisait pas, l’équipe doit aussi composer avec les innombrables objets dangereux négligemment jetés dans les toilettes, comme des seringues ou des préservatifs, qui, râle Tim, « peuvent vous exploser à la gueule ».
Il y a aussi « les mouches que vous avalez. Faut les recracher, aussi sec », souligne Vince.
Bref, ce métier requiert au moins deux qualités: un solide sens de l’humour, et un dévouement total. Mais la profession, aussi ingrate soit-elle, a ses avantages.
« C’est un privilège que de pouvoir visiter certaines parties de Londres que personne ne voit », dit Tim.
« Quand vous regardez la taille de ces égouts, c’est sidérant… C’est comme un autre Londres sous Londres. C’est un sacré beau travail d’ingénieur, et, d’ailleurs, certains conduits sont magnifiques. Le travail sur les briques est stupéfiant », ajoute-t-il, admiratif.
Des années sont nécessaires pour connaître le dédale. Mais savoir la présence de telle marche cachée est essentielle pour éviter une chute dans un bain d’excréments.
Les « fatberg », une fois brisés par les égoutiers, ou traités par les stations d’épuration, finissent dans les décharges, et Thames Water teste des enzymes pour les éliminer plus facilement.
Pour Vince toutefois, la solution est entre les mains des usagers et des professionnels.
« Le problème, c’est que les gens ne voient pas ce qui se passe, alors ils n’y pensent pas. Et c’est sur nous que ça retombe », dit-il, avant d’y aller de son petit conseil pour éviter une catastrophe pendant les fêtes: « La graisse, jetez-la à la poubelle, pas dans l’évier ! »
© AFP
5 commentaires
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Rouchet
Bon appétit ! C’est de l’humour bien sûr… Mais quel réveil le matin en lisant votre article ! C’est tout simplement écoeurant… Ces personnes qui travaillent là mériteraient d’être citées pour avoir le droit de porter la médaille du mérite (c’est un minimum) ! Dans nos pays dits civilisés et plus particulièrement dans les grandes villes, on est tellement habitué à notre petit confort, qu’on imagine pas ou qu’on ne veut pas se l’imaginer, à quel point on se décharge de toutes les tâches ingrates sur les autres, sans aucun état d’âme. On désinfecte tout notre espace personnel et à côté de ça, on salit le reste. On devient égoïste, on ne passe qu’à notre petite personne,à notre petit intérieur aseptisé… le reste… bien, c’est le reste quoi… C’est facile de nous débarrasser de nos déchets sans réfléchir… ça en dit long sur notre mentalité à se débarrasser de ce qui nous dérange et même de ceux qui nous dérangent ! Votre article devrait passer à la télé, à la une des journaux télévisés !
CAR ELIANE
Tu parles d’un « »Privilège » » de travailler dans les égouts de Londres , j’espère que ces personnes sont bien rémunérées et que leur retraites peuvent être prises avant les autres !
sans compter les microbes qu’il doit y avoir dans ce magmas ainsi que des rats BRRRRRR il faut avoir le coeur bien accroché pour faire cela tous les jours !
Chapeaux les gars
Catherine Alquier
Le travail de ses hommes, sans gloire ni fanfare, est essentiel. C’est comme le travail de la mère de famille, il semble insignifiant, mais sans lui, rien n’est possible.
Si nous devions garder dans notre maison/appartement tous nos déchets, je pense que nous serions plus prudents et plus attentifs.
Un énorme merci à tous ces hommes pour leur travail, grâce à eux nous pouvons rester en bonne santé.
Esprit de Noël : des macaques trépanés, les égouts de Londres, et d’autres | Le blog d'une gobelalune
[…] Dans les égouts de Londres, à l’assaut d’une banquise de graisse Les fatbergs. C’est comme ça que les égouttiers londoniens ont surnommés ces énormes blocs de graisse qui envahissent les égouts de leur ville, menaçant d’obstruer tout le système. Cela ne va pas en s’améliorant, mais évidemment, à l’approche des fêtes de Noël, c’est encore pire. Pour Vince, égouttier chevronné, c’est « le truc le plus dégueulasse qui soit » : « Le problème, c’est que les gens ne voient pas ce qui se passe, alors ils n’y pensent pas. Et c’est sur nous que ça retombe. » […]
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